Nouvelle Lune (partie 79)

 En route vers Thiercelieux, Kelly vit sa mère se confier à elle et tenta de rester forte, de retenir ses larmes pour se présenter forte et confiante devant les gens du hameau...


Le stress envahit le petit cortège lorsque le hameau commença à se profiler au loin. Au travers des arbres, les murs des maisons en bordure de Thiercelieux agissaient comme une mise en garde, un défi. Kelly devait prendre de grandes inspirations pour contrôler sa respiration. Son cœur battait jusque dans son crâne et elle ne pouvait empêcher les doutes de retentir, encore et encore, dans son esprit. Elle devait absolument réussir à convaincre les gens de Thiercelieux que ses parents étaient de bonnes personnes qui méritaient de vivre en leur compagnie. C'était son moment, le moment de prouver au monde entier qu'ils avaient eu tort. Son moment de briller. Pour faire réaliser à ceux qui l'avaient élevée qu'elle n'était plus une simple gamine qui quémandait de l'attention. Elle devait leur prouver, à tous, qu'elle servait des causes honorables et que ce qu'elle s'apprêtait à faire était tout sauf un caprice. Il était temps pour elle de rendre son grand-père fier.

Mais persistaient, encore et toujours, les mêmes craintes.

Et s'ils refusaient de la croire ?

Et si la peur prenait le dessus ?

Et si elle regrettait toute sa vie le moment où elle avait fait revenir ses parents à Thiercelieux ?

Non, elle ne pouvait pas permettre cela. Il n'y avait pas de place pour les regrets. Et elle ne regretterait pas. Tout se passerait bien, ses parents reviendraient habiter au hameau avec elle et elle vivrait la vie dont elle avait toujours rêvée. Les autres options n'avaient pas raison d'être. Elle avait été élevée par l'homme au plus grand franc-parler qu'elle connaissait, après tout. 

Sa main n'avait pas lâchée celle de sa mère de tout le trajet. Elle la tenait bien fort, comme pour se rappeler de pourquoi elle faisait ça. Pourquoi elle prenait le risque de se faire renier elle aussi maintenant qu'elle avait pris contact avec ses parents. 

Elle n'avait jamais été aussi angoissée qu'à ce moment. Mais, étrangement, cette angoisse était accompagnée par une volonté implacable. Elle ne pouvait pas reculer, et elle le savait. Alors, plutôt que de se refermer sur elle-même, elle était prête à affronter son destin. Peu importe ce dont il s'agissait. Et avec une détermination à toute épreuve.

Les deux hommes, devant elles, s'arrêtèrent pour se retourner dans leur direction. La même angoisse qui habitait Kelly se dépeignait sur leurs visages malgré les efforts qu'ils semblaient mettre pour que rien ne paraisse.

— On arrive, spécifia inutilement Thomas. Vous êtes sûres que c'est une bonne idée ?

Personne ne répondit à sa question. Bien que la sentence qui pesait sur Liam ne soit plus d'actualité, il avait tout de même fui en plein Conseil. Il était impossible de savoir comment les habitants du hameau réagiraient à son retour, accompagné qui plus est des parents de Kelly. La seule personne qui était blanchie de toute accusation était la fillette. Elle était la seule en mesure de défendre leur quatuor. Peut-être la seule que ceux de Thiercelieux accepteraient d'écouter. Quoique son âge pourrait encore se retourner contre elle.

— Oui, trancha-t-elle autant pour elle-même que pour les autres.

Autour d'elle, les adultes se jetèrent un coup d’œil incertain qu'elle ne manqua pas de remarquer. Ils étaient terrifiés, c'était apparent. Comme elle.

— On y va, les garçons, trancha Laurie-Anne en frictionnant son bras de sa main libre. Autant se rendre jusqu'au bout maintenant qu'on a tout ce chemin de parcouru, ça serait bête de revenir sur nos pas après tout ça.

Il fallut plusieurs secondes à Thomas avant d'acquiescer sans grande conviction et de reprendre leur route.

Le manque de confiance des adultes tendait à rendre Kelly nerveuse. Elle avait l'impression qu'elle était la seule de leur petit groupe qui croyait en leurs chances. Était-ce donc illusoire à ce point de croire qu'ils parviendraient à faire revenir ses parents au hameau ?

Chaque pas qu'elle faisait et qui la rapprochait du moment où elle devrait confronter ceux qui l'avaient vu grandir rendait Kelly de plus en plus nerveuse. Elle déglutissait sans relâche pour chasser la bile qui tentait de s'approprier sa bouche et s'affairait à combler son esprit avec des affirmations positives. 

La vérité, c'était qu'elle était terrifiée.

Comment Nicolas faisait-il pour prendre avec autant d'aise la parole devant des gens, qui plus est quand c'était pour contredire ce qu'ils avaient toujours pensé ?

Elle devait penser comme son grand-père. Elle devait devenir son grand-père. Lui, il aurait eu le courage de faire ce qu'elle s'apprêtait à faire. 

Aide-moi, grand-père.

Comme elle aurait aimé qu'il soit là, à ce moment, pour la rassurer. Pour l'aider à penser comme lui. L'amertume se répandit dans sa bouche et sa gorge se serra. Comme elle regrettait cette période de sa vie qu'elle avait vécue avec Nicolas. Tout en lui lui manquait, même sa manie de contredire de façon beaucoup trop virulente ceux qui ne voyaient pas les choses de la même façon que lui. Aujourd'hui, s'il avait été encore là, il aurait été le premier à s'opposer au fait que ses parents reviennent. Il aurait contesté, aurait tenté de convaincre le plus de gens possible que ce n'était pas une bonne idée, qu'ils nuiraient au hameau. Ses principes étaient toujours passés avant sa famille.

Et, malgré tout, elle aurait voulu le retrouver en rentrant au hameau.

La fillette secoua la tête. Le moment n'était pas à la nostalgie. Elle devait se prendre en main, se préparer mentalement à ce qui suivrait. Alors elle chassa ces pensées parasites de son esprit et se concentra sur les pas qu'elle faisait. Mettre un pied devant l'autre.

Plus ils avançaient, plus la jeune fille entendait des cris s'élever des frontières de Thiercelieux. Au bout d'un moment, elle se mit à identifier son nom. On la cherchait, comme elle s'y attendait. Ces appels lui donnèrent immédiatement envie d'accélérer le pas pour les rassurer. Mireille n'était déjà pas dans de très bonnes conditions morales la veille, alors ce n'était pas le moment qu'elle s'inquiète inutilement. Ses jambes la démangeaient et elle devait se retenir très fort pour ne pas tirer sa mère vers l'avant et dépasser les hommes qui prenaient tout leur temps pour avancer. Ceux-ci jetaient d'ailleurs de nombreux regards dans sa direction, comme pour voir comment elle réagissait à ces cris. Son impatience parut d'ailleurs les convaincre d'accélérer le pas. 

Enfin, ils parvinrent à la lisière de la forêt après ce qui lui parut à Kelly être des heures. Elle devint encore plus agitée. Elle n'en pouvait plus d'entendre ces cris, encore et toujours. Incessamment. Elle se voyait revivre le moment où elle s'était retrouvée prisonnière de la cage où elle avait appelé, impuissante, ceux qui la cherchaient pendant des heures. Elle ne voulait plus jamais voir l'inquiétude qu'elle avait vu sur le visage de Mireille, cette journée-là. Savoir qu'elle était la source de cette inquiétude la rendait malade, et tout ce que son être lui disait de faire, c'était interrompre le sang d'encre que tous ces gens étaient en train de se faire pour elle. Ses yeux étaient incapables de lâcher la bordure du hameau.

Le regard de sa mère se mit à peser sur elle sans que Kelly ne soit capable de le lui rendre.

— Vas-y, Kelly, fit-elle alors en lâchant sa main.

Cette fois, la fillette fut incapable de résister à la tentation de dévisager sa mère. Elle se sentait horriblement mal d'abandonner ses compagnons de route, de les laisser arriver seuls au hameau. Elle devait être là pour eux, elle était la plus apte à les défendre. Mais en même temps, peut-être valait-il mieux qu'elle arrive la première pour apaiser les tensions qui régnaient en ce moment même en ce lieu où elle avait grandi.

La confiance sans faille qui brillait dans les yeux de Laurie-Anne finit de la décider.

Kelly hocha la tête, laissant s'accrocher ses prunelles une dernière fois à celles de sa génitrice, puis partit en courant. Ses jambes se mirent vite à la brûler. Elle courait comme si sa vie en dépendait, comme si, dans l'éventualité où elle n'arriverait pas dans les prochaines secondes, une catastrophe s'abattrait. Comment pouvait-elle savoir combien de temps cela faisait-il qu'ils la cherchaient ?

Ses pieds résonnaient sur la terre encore mouillée par la rosée. Les impacts se diffusaient dans tout son corps, comme autant de battements de cœur. Elle n'avait qu'une seule chose en tête : courir. Arriver au hameau. Rassurer tous ceux qui la cherchaient. Et plaider sa cause.

Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle courait autant. Elle avait peur que les gens de Thiercelieux prennent ses parents pour la cause de sa fuite nocturne. D'autant plus qu'ils l'étaient un peu, au fond. Et elle ne voulait pas que cela puisse jouer contre eux.

Sa respiration était devenue insoutenable. Sa gorge la brûlait, mais cela ne l'arrêtait pas. Il ne lui restait que quelques mètres à parcourir. Quelques mètres et tout ceci prendrait enfin fin. Quelques mètres et elle pourrait entamer la chose la plus importante de toute sa vie.

Les cris résonnaient toujours.

— Je suis là ! s'écria-t-elle. 

La première personne qu'elle aperçut, en tournant le coin formé par le mur d'une maison, fut Alex. Son meilleur ami se retourna vivement en l'entendant approcher. Et, en la reconnaissant, il s'élança. 

— Kelly !

Leurs deux corps se percutèrent violemment alors qu'ils se rencontraient. Les bras d'Alex se refermèrent avec une force innommable sur son corps frêle alors qu'elle restait immobile, épuisée, les bras le long de son corps, tâchant de reprendre son souffle. Le temps s'arrêta, et il ne restait plus qu'eux, enlacés, elle soufflant et lui agrippé à elle. En sentant la détresse qui se dégageait de lui, elle douta. Douta d'avoir pris la bonne décision en choisissant de suivre Liam. Les remords l'emplirent, elle n'arrivait pas à croire qu'elle avait fait vivre cela à son meilleur ami. Elle était la seule famille qui lui restait. Et elle allait l'abandonner. Elle allait abandonner Mireille pour vivre avec ses parents biologiques. Avec des gens qu'elle ne connaissait même pas la veille au soir. Elle s'apprêtait à les abandonner tous les deux. Au début, reconstruire sa vie avec ses parents lui avait paru la meilleure idée qu'elle ait jamais eue. Mais en revenant ainsi au hameau, devant son meilleur ami déconfit, sa vie la rattrapa. Comment pourrait-elle abandonner son meilleur ami après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble ?

Autour d'eux, on commença à crier qu'elle était de retour, qu'elle avait été retrouvée. Des gens commencèrent à s'attrouper autour d'eux. Mais ni elle, ni Alex ne bougèrent. Ils étaient comme figés, prisonniers de l'état de choc dans lequel ils se trouvaient.

Kelly se mit à observer les visages soulagés autour d'elle et plusieurs se mirent à lui demander où elle était allée, ce qui s'était passé. Elle ne répondit à aucun d'entre eux, trop percutée par les sentiments poignants qui émanaient d'Alex. Lorsque sa respiration fut enfin maîtrisable, elle lui rendit son étreinte. Elle était épuisée par la course qu'elle venait d'exécuter. Et quand elle vit sa grand-mère arriver à toute allure, bousculant les gens sans ménagement, un frisson la traversa. Elle serra un peu plus fort Alex contre son cœur en sentant qu'il s'était brièvement apaisé et le lâcha. Ses yeux rencontrèrent ceux de son ami avec autant de choc que leurs corps l'avaient fait quelques secondes plus tôt. Sans interrompre ce contact, elle recula avec un hochement de tête se voulant rassurant et tenta de sourire à sa grand-mère pour lui signaler que tout allait bien. L'inquiétude baignait ses yeux et, dès qu'elle fut en mesure de la toucher, elle le fit. Mireille lui agrippa les avant-bras avec force et s'accroupit à sa hauteur.

— Où est-ce que tu étais, pour l'amour de Dieu ? s’exclama-t-elle en guettant dans ses yeux la quelconque trace d'une réponse. J'ai eu si peur, tu ne t'es jamais enfuie comme ça et après ce qui s'est passé le mois dernier, j'avais...

Elle s'interrompit brusquement, son regard fixé vers l'arrière. Ses yeux s'écarquillèrent et sa mâchoire se décrocha. Ses bras retombèrent le long de son corps et elle se redressa, ébahie. Son regard revint un moment sur Kelly, puis retourna à ce point derrière elle.

— Non... fut tout ce qu'elle parvint à prononcer.


Salut tout le monde ! 😄 Je vous retrouve aujourd'hui pour vous publier cette nouvelle partie de Nouvelle Lune ! C'est une partie que j'aime beaucoup et j'espère sincèrement que vous l'avez aimée autant que moi !

Je voudrais vous faire part de quelque chose que j'ai remarqué il n'y a pas longtemps et qui m'a énormément surprise. J'ai remarqué que Nouvelle Lune était vraiment associé au chiffre 2. Déjà, c'est mon deuxième roman (le deuxième qui comporte assez de mots pour être considéré comme un roman en tout cas). Aussi, il comporte 122k mots et les péripéties de Nouvelle Lune s'étendent sur deux mois (eh oui, j'ai fait le compte juste pour vous parce que en vrai, même moi, je me mélangeais 😂). Et la chose la plus surprenante, je trouve, c'est que l'écriture de ce roman a commencé le 23 décembre 2020 (eh oui, deux jours avant Noël !) et s'est terminée le 23 octobre 2022. L'écriture a donc durée PILE un an et dix mois, au jour près ! Et donc, si l'écriture durait deux mois de plus, l'écriture de Nouvelle Lune aurait duré deux ans.

Ça fait beaucoup de coïncidences selon moi !! Dites-moi ce que vous pensez de ça, ça m'intéresse !!

Bref, c'était tout pour aujourd'hui ! Combien de parties pensez-vous qu'il reste avant la fin ? 

Et n'oubliez pas, restez positifs !

Commentaires

  1. J'ai adoré cette partie ! Et cette bistoire de 2... Ouf, je n'ai pas la patience de trouver autant de coïncidences, tu es bien bonne pour ça ! Selon moi, il reste deux chapitres, puis l'épilogue... J'ai hae de voir la suite !

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    1. En vrai c'est tout venu tout seul, je n'ai pas spécialement cherché des deux ! Ils sont venus tout seul ! Et tu es très près pour le nombre de parties ! Je ne dis rien de plus... :D

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  2. Je suis très contente que Kelly soit enfin rentrée au village. Pour ce qui est du nombre de chapitres qui restent, j'aurait dit comme Laura : 2, mais comme tu as dit que ce n'était pas tout à fait ça, je dirais 4 (pour 2X2). Je t'aime 🥰

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    1. Il ne reste pas quatre parties non plus, mais ça, je pense que tu t'en doutais ! Vous saurez bien assez vite, j'ai hâte de vous faire lire la fin !!!! Je t'aime aussi ! <3 ^^

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