Nouvelle Lune (partie 78)

 Après avoir demandé à ses parents s'ils pouvaient revenir vivre avec elle à Thiercelieux et avoir essuyé un refus systématique, Kelly fut emplie de joie lorsque ses parents acceptèrent finalement...


Lorsque Kelly se réveilla, l'habitacle était déjà illuminé d'un bain de soleil. Elle se retourna lentement dans le lit de fortune, écoutant les yeux clos l'animation qui régnait déjà dans la petite cabane. Ses pensées se portèrent vers Mireille et Alex, qui devaient sans aucun doute être paniqués à cette heure de ne pas la trouver dans son lit. Cette seule pensée réussit à la faire se redresser. Lorsque ses parents avaient commencé à insister pour ne pas se déplacer vers le hameau avant le matin, Kelly avait trouvé l'idée horrible principalement pour cette raison. Elle avait envie de tout, sauf de voir ses proches s'inquiéter pour rien. Cependant, elle aurait été incapable de retrouver son chemin seule et, lorsque Liam avait approuvé l'idée, elle s'était retrouvée contrainte d'attendre le lever du soleil pour retourner chez elle. Elle s'était endormie entre ses deux parents en, à sa plus grande surprise, un temps record et avait réussi à dormir paisiblement quelques heures supplémentaires. Liam, qui semblait habitué, s'était installé sur le fauteuil. Peut-être était-ce là l'endroit où il était habitué de dormir depuis qu'il s'était enfui. 

Dans la maisonnette, les trois adultes s'activaient, rassemblant quelques objets dispersés ici et là. Il ne fallut que quelques secondes à Laurie-Anne pour remarquer qu'elle était réveillée.

— Kelly ! fit-elle, attirant l'attention générale sur elle. On est presque prêts à partir. On s'est dépêchés à tout préparer, comme tu nous l'avais demandé. Il y a des pommes sur la table si tu veux, sers-toi ! On devrait être prêts à y aller dans une dizaine de minutes. J'espère que ce n'est pas trop tard pour toi, on fait vraiment notre possible !

La fillette cligna quelques fois des yeux, tâchant de chasser le sommeil qui s'accrochait toujours à ses paupières. Elle n'avait pas de temps à perdre. Il était sans doute déjà trop tard, mais elle espérait de tout coeur que Mireille n'ait pas eu le temps de sonner l'alarme. Elle devait se faire un sang d'encre.

Kelly s'étira rapidement, bâilla une dernière fois et se mit debout. Elle portait toujours la chemise de nuit qu'elle avait lorsque Liam était venu la chercher plus tôt dans la nuit. Ses jambes étaient encore engourdies lorsqu'elle fit ses premiers pas. Elle devait s'être endormie dans une mauvaise position, et elle était pleine de courbatures. Sur la table, elle saisit une pomme qu'elle croqua paresseusement. Elle tentait de toutes ses forces de retrouver l'énergie qu'il lui manquait, mais les heures de sommeil qui lui avaient été volées se faisaient sentir. Or, ce n'était pas le moment de se montrer amorphe. Elle s'apprêtait à réintégrer ses parents au hameau après huit ans d'exil. Elle s'apprêtait à user de toute sa force, tout son courage pour convaincre ceux qui l'avaient vue grandir qu'ils méritaient de retrouver leur place à Thiercelieux. Elle s'apprêtait à faire prendre un tournant innattendu à sa vie.

En s'assenant une petite claque sur la joue pour se ressaisir, Kelly secoua la tête et s'étira à nouveau sous l'oeil curieux des adultes. 

— Je peux aider dans quelque chose ? fit-elle.

Elle devait absolument se mettre en action, trouver quelque chose à faire pour son cerveau, sinon c'était le sommeil qui se l'approprierait.

— Non, pas vraiment, on a presque fini. Tu peux nous attendre dehors, si tu veux.

Elle hocha la tête, puis enfila ses sandales et sortit.

Dehors, l'air était frais. Une légère brise soufflait, chatouillait la peau de la jeune fille et émoussa ses sens, dissipant une partie de la fatigue qui l'habitait.

Il ne fallut que quelques minutes aux résidents de la petite demeure pour la rejoindre. Seul Thomas portait un sac-à-dos. Le couple avait déterminé qu'ils n'emporteraient que le strict minimum. Kelly avait bien tenté, la veille, de les convaincre d'emporter le plus de choses possibles pour avoir le moins de voyages à faire, mais, même s'ils ne lui disaient pas sans doute par peur de briser ses espoirs, ils étaient toujours craintifs quant au fait d'être mal reçus. Ils avaient peur, malgré toutes les tentatives de leur fille de les rassurer. Ils ne savaient pas comment le hameau avait évolué. Cela faisait huit ans qu'ils n'y avaient pas mis les pieds. Kelly avait grandi avec ces personnes autour d'elle. Elle les connaissait bien, savait qu'ils ne refuseraient pas quelqu'un comme ses parents. Son grand-père et William l'auraient peut-être fait, mais comme ni l'un ni l'autre n'étaient en vie, maintenant, ce problème était écarté.

Problème.

Comment pouvait-elle traiter son grand-père de problème ?

Son coeur se serra.

Il lui manquait.

Lorsqu'ils se mirent en route, Liam et Thomas prirent naturellement les devants. Les deux hommes se mirent à discuter entre eux de sujets futiles, comme pour taire leur peur commune.

Derrière eux, Kelly et Laurie-Anne marchaient en silence. La fillette avait mille et un sujets qui lui brûlaient la langue, questions qu'elle désirait ardemment aborder. Mais pour cela, il fallait qu'elle brise ce silence. Et elle n'était pas certaine d'être prête à faire ce pas.

Sur leur chemin, Kelly devait souvent se placer derrière sa mère pour contourner des arbres, se pencher pour éviter des branches basses. Cependant, ce chemin semblait avoir été emprunté plus souvent que celui par lequel ils étaient arrivés : les feuilles mortes, au sol, étaient tapées et, ici et là, elle pouvait apercevoir à la base des troncs de petites boursouflures témoignant du débroussaillement qui avait eu lieu. Liam avait-il donc si peur qu'elle retrouve son chemin ? Mais pourquoi ?

Soudain, timidement, la main de sa mère se tendit vers elle, paume vers le haut. Kelly leva la tête pour la dévisager, surprise. Lorsqu'elle tomba sur les yeux de la femme, celle-ci sourit timidement, les sourcils haussés dans une suggestion muette.

Kelly sourit, baissa la tête, et mit sa main dans celle de sa mère. La paume de cette dernière était toute chaude dans la sienne. Elle lui apportait un sentiment de réconfort, de confiance. Cela l'encouragea à se lancer.

— Pourquoi est-ce que vous m'avez fait croire tout ce temps que Mireille et Nicolas étaient mes grands-parents ?

C'était la principale chose qui lui pesait depuis qu'on l'avait mise au courant. Elle n'arrivait pas à croire que toute sa vie avait été bercée par le mensonge. Elle n'arrivait pas à se faire à l'idée qu'elle n'était pas assez bien pour qu'on lui avoue tout.

Sa question fit soupirer Laurie-Anne. Kelly leva la tête dans sa direction et vit qu'elle regardait au loin, comme si c'était quelque chose qu'elle n'avait pas envie d'aborder. Or, elle n'avait pas le choix. Elles étaient seules dans cette discussion et, par ce fait, la femme n'avait personne avec qui parler pour faire dévier la conversation. 

— Ce n'était pas notre idée, Kelly. Je veux que tu le saches. Quand on est partis, ton père et moi, on avait le coeur brisé. Je ne te le répéterai jamais assez, mais t'abandonner a été la pire épreuve de toute ma vie. Quand on t'a confiée à Mireille, le jour de notre départ, on lui a fait promettre de te donner tout l'amour dont tu avais besoin. Tout l'amour qu'on ne te donnerait pas. On a fait promettre à Mireille de s'occuper de toi comme si tu étais sa propre fille. La dernière chose qu'on voulait, c'était que tu te sentes abandonnée. Tu avais tellement de valeur pour nous, tu étais notre trésor, notre bébé. Et c'est encore le cas. Moi et Thomas, on t'aime plus que tout, Kelly. On voulait que tu sentes cet amour même sans qu'on soit là pour te le prodiguer. Alors, j'imagine que Mireille a cru que, pour que tu ne te sentes pas abandonnée, il valait mieux que tu croies que tu étais restée dans ta famille. Elle croyait peut-être que de te faire valoriser par quelqu'un que tu croyais faire partie de ta famille t'apporterait plus que par des personnes avec qui tu n'avais pas de lien par le sang. Elle a fait de son mieux. Tout ce qu'on a fait, tout ce que tout le monde a toujours fait, c'était pour ton bien. Parce que tu es aimée d'un amour inconditionnel, ma chérie.

Enfin, les yeux de sa mère se posèrent sur elle. Des yeux mouillés, brillants de larmes. À ce moment, les siens devaient être identiques. Elle se rendait maintenant compte de tous les doutes dont elle était emplie depuis des années. Des doutes sur l'amour que lui prodiguaient ses parents et tout son entourage. Elle avait peur que tout ceci ne soit que des faux-semblants, avait peur de ne jamais avoir été aimée, au fond. Alors les paroles de sa mère mirent un baume sur son coeur meurtri par l'incertitude. Un frisson glissa sur son dos et elle déglutit à de nombreuses reprises pour empêcher les larmes de couler.

Le silence plana quelques secondes entre les deux filles, laissant le temps à Kelly de ravaler ses larmes. Ce n'était pas le moment de pleurer. Elle devait se montrer forte, devait se présenter forte et sûre d'elle au hameau. Elle devait rendre Nicolas fier.

— Quand est-ce que je vais pouvoir rencontrer les gens de ma vraie famille ? demanda-t-elle avec le plus de détachement possible.

Ce n'était pas le moment d'être émotive.

À nouveau, Laurie-Anne soupira et secoua la tête. Plutôt que de lui faire ressasser de mauvais souvenirs, cette fois, cette question sembla réveiller une amertume qu'elle avait évitée de montrer jusque là.

— Je ne sais pas si tu les rencontreras un jour, Kelly. Je... entre mes parents et moi, c'est difficile. Et ceux de Thomas ne m'aiment pas. Ils n'ont jamais accetés que leur fils enseigne la médecine à une femme. De vrais vieux-jeux.

La paume de sa mère se resserra avec une rage difficilement contenue sur la sienne.

— Je n'ai jamais été la fille que mes parents voulaient que je sois. J'étais leur ainée et, depuis ma naissance, ils avaient tracé tout un chemin pour moi. Pour eux, il était clair que j'allais reprendre l'entreprise familiale, qu'ils allaient prendre leur retraite en se fiant sur moi et que je serais une femme exemplaire. Mais rien dans tout ça ne m'intéressait. Ils ont essayé de me contrôler toute ma vie et la seule chose que j'ai faite qu'ils ont approuvée dans toute ma vie a été d'épouser Thomas. C'en était devenu étouffant. Très tôt dans mon adolescence, j'ai commencé à me rebeller. Mes parents se fâchaient très souvent parce que je ne suivais pas la ligne directrice qu'ils avaient tracée pour moi. Dans leur tête, j'étais en train de devenir un âme égarée, tout ça parce que je ne suivais pas les saints projets qu'ils avaient pour moi ! Alors, je suis partie de la maison le plus tôt possible pour commencer à voler de mes propres ailes. Quand je suis partie, ça faisait des mois qu'entre moi et mes parents, ça ne marchait plus. On se criait dessus tous les jours, je passais mes journées soit enfermée dans ma chambre, soit en-dehors de la maison. Bref, on ne s'est pas quittés en très bon termes. C'est surtout à cause d'eux que je suis partie loin, avec Thomas. Je ne pouvais plus les supporter, eux et leurs remarques sur le fait que j'avais pris le mauvais chemin. Alors je reste le plus loin possible de la ville, où ils habitent, et je m'en porte à merveille !

Tout au long de son monologue, sa mère n'avait cessé de cracher les mots. La frustration qu'elle ressentait à l'égard de ses géniteurs était palpable et il lui fallut plusieurs inspirations pour réussir à calmer son apathie.

— Bref, tout ça pour dire que je n'ai pas vraiment envie que tu rencontres tes grands-parents. J'aurais trop peur... qu'ils veuillent décider de ton avenir comme ils l'ont fait avec moi. Parce que la seule personne qui soit maître de ton destin, Kelly, c'est toi.

Sa mère la regarda intensément dans les yeux, comme pour s'assurer que le message était bien passé, avant de poursuivre.

— Pour ce qui est des parents de Thomas... je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée non plus. Ils ne t'aimeraient sûrement pas, pas à cause de qui tu es, s'empressa-t-elle de rectifier, mais seulement parce que... tu es la fille que Thomas a eu avec moi. Ils n'ont jamais approuvé notre mariage, tout le contraire de mes parents. Je crois que c'était surtout parce que leur fils m'enseignait la médecine, un métier qui, selon eux, ne pouvait pas du tout convenir à une femme. Et comme tu es le fruit de ce mariage... 

Laurie-Anne baissa les yeux, chagrine.

— Je suis désolée, Kelly. Je sais bien que c'est injuste, que tu n'as rien fait et que tu dois mourir d'envie de rencontrer tes vrais grands-parents, mais... ça serait trop dur. Pour moi, surtout. Et sans doute aussi pour toi.

Kelly secoua la tête, planta ses yeux dans ceux de sa mère et serra un peu plus fort ses doigts autour de ceux de la femme.

— C'est pas grave, trancha-t-elle. Vous êtes les seuls qui manquaient à ma vie et si c'est trop difficile pour toi de revoir tes parents ou ceux de papa, on ne les verra pas.

Papa. Ce mot faisait tout drôle dans sa bouche, surtout associé à une personne. En elle, quelque chose se gonfla d'amour et un sourire béat se forma sur ses lèvres.

— Ce que je veux avant tout, c'est que vous soyez bien. Et que vous soyez avec moi ! termina-t-elle.

Sa mère tourna un regard attendri dans sa direction, la gratitude émanant de tout son être.

— Merci, ma belle Kelly. C'est beaucoup pour moi, tu sais ? T'avoir est la plus belle chose qui m'est arrivée de toute ma vie. Et on va refaire notre vie tous les trois ensemble. On va rattraper le temps perdu, peu importe ce qui arrivera aujourd'hui. C'est promis.


Bonjour !! Je vous retrouve ce soir pour vous partager la partie 78 de Nouvelle Lune !! 😄 Finalement, je n'ai pas eu le temps de partager une partie en milieu de semaine, mais si j'ai le temps cette semaine, je vous ferai ça avec plaisir !! Il ne reste vraiment plus beaucoup de parties à vous partager (comme je suis gentille, je vous donne un indice : C'est entre 1 et 5 !) et plus ça va, plus j'ai envie de pouvoir partager la fin avec vous, alors c'est possible que je décides de partager quelque chose mercredi ! 😍 Par contre, l'étape finit cette semaine, à l'école, alors je suis dans un "rush" d'examens qui ne me laisse pas beaucoup de temps libre... On verra, bref !

Moi je vous dis à très bientôt pour la prochaine partie de Nouvelle Lune, portez vous bien d'ici là !

Et n'oubliez pas, restez positifs !

Commentaires

  1. J'adore ! J'ai vu ta publication sur instagram qui disait que tu avais fini ton premier jet et j'ai vraiment eu les larmes aux yeux... En tout cas, bravo ! C'est super hâte de voir la fin, et dès que j'aurais tout lu, je vais sûrement tout recommencer du début !

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    1. Ouii c'est clairement ma publication préférée de tout mon compte, cette vidéo 🥰 Et ça me fait trop plaisir, vraiment, comme ça en plus tu vas pouvoir le lire sans interruption 😊

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