Nouvelle Lune (partie 76)
Enfin tous réunis, Kelly se fit raconter par ses parents toute la vérité...
Sa vie était un mensonge.
C'était tout ce à quoi Kelly pouvait penser alors qu'un autre aspect de sa vie se défaisait devant elle. Depuis toute petite, ses grands-parents avaient été le pilier de sa vie, celui sur lequel reposait toute son existence. À défaut de pouvoir compter sur ses parents, au moins, elle avait la certitude que quelqu'un l'aimait sur cette terre. Elle avait la certitude qu'elle pouvait compter sur quelqu'un. Et, d'un coup, tout ce qu'elle avait toujours cru se retrouvait anéanti. La seule famille qu'elle avait cru avoir n'était qu'une illusion, comme tout le reste. Comme si... elle n'était pas assez importante pour qu'un quelconque membre de sa famille daigne s'occuper d'elle. C'était ainsi qu'elle se sentait, présentement, alors qu'une à une tombaient les illusions constituant sa vie.
Alex avait-il seulement déjà ressenti de l'amitié pour elle ?
On lui avait toujours menti, c'est ce qu'elle réalisait. Pendant toutes ces années, elle avait appelé ses tuteurs grand-mère et grand-père. Ils avaient porté ce titre à tort pendant toutes ces années. Ils lui avaient menti pendant toutes ces années. Comme si éviter à tout prix de lui parler de ses parents n'était pas assez.
Tout ça parce qu'un homme était mort entre leurs bras.
Et maintenant ? Comment était-elle censée agir à présent qu'elle savait la vérité ? Maintenant qu'elle savait que, toutes ces années, elle n'avait pas eu un traître lien avec un membre de sa famille. Comme si elle était une coquille vide qui ne n'était pas assez pour satisfaire l'entourage de ceux qui l'avaient mis au monde. On l'avait abandonnée, l'avait laissée à elle-même. Elle n'avait même pas pu grandir dans l'amour de sa famille. C'était des inconnus qui l'avaient élevée, des gens que ses parents venaient presque tout juste de rencontrer. Elle n'avait donc vraiment aucune valeur ?
— Pourquoi ?
Ce ne fut qu'en prononçant ces mots qu'elle réalisa à quel point elle pleurait. Ses joues étaient à nouveau emplies de larmes, presque comme si elles avaient été mouillées par la pluie. Elle avait déjà l'impression d'être un peu exclue du monde, d'être l'intruse, l'impostrice de sa propre vie, mais cette impression n'en était que renforcée par ce qu'on lui annonçait.
Elle n'avait jamais vécu en compagnie de sa famille.
Elle n'était rien.
Sa question cachait tant de douleur, aurait pu se répondre par tant de choses.
Pourquoi lui avait-on menti ?
Pourquoi ne méritait-elle pas d'être normale pour une seconde au moins ?
Pourquoi l'avait-on abandonnée ?
Pourquoi avait-elle naïvement cru qu'elle avait une belle vie ?
Pourquoi lui avait-on toujours tout caché ?
Elle aurait pris n'importe laquelle de ces réponses. Elle voulait seulement qu'on lui réponde. Voulait enfin des réponses dans cette existence où on semblait la préserver de tout, la plupart du temps par prétexte qu'elle était trop jeune.
Quand comprendraient-ils enfin qu'elle était prête à entendre ?
Les yeux ronds, Kelly regardait sa mère, le goût de la trahison emplissant sa bouche. De la solitude, aussi. Elle se sentait affreusement seule. Et tout ce qu'elle trouvait à faire était de fixer la femme avec les yeux apeurés d'une biche. Elle était emplie des envies contradictoires de s'enfuir et d'insister jusqu'à ce qu'elle obtienne enfin ces maudites réponses qu'elle attendait depuis trop longtemps déjà.
— Oh, ma chérie.
Le ton de sa mère était empli de pitié, de compassion. Deux choses qu'elle ne voulait pas. Non, elle n'avait pas le droit de ressentir ça alors qu'elle était à la base de tout ce qui lui était arrivé. Alors qu'elle et son mari étaient à la base de tous ces mensonges.
Kelly aurait voulu la repousser. Elle aurait voulu s'en aller, retourner se bercer dans ses convictions rassurantes. Parce qu'elle avait trop peur qu'un autre aspect de sa vie s'effondre sans préavis. Comment pourrait-elle se reconstruire après si c'était le cas ?
Lorsque sa mère ouvrit les bras en avançant vers elle pour la serrer contre son coeur, cependant, la fillette n'eut pas le courage de la repousser. Elle était trop choquée par toutes ces révélations et demeurait immobiles, les bras rabattus le long de son corps. Comme si quelque chose en elle s'était déconnecté. Les larmes mouillaient ses joues sans qu'elle ne prenne le temps de les essuyer. Elles lui piquaient le menton en s'y agglomérant, mais rien ne pouvait la sortir de cet état de choc.
Sa vie était un mensonge.
Et elle allait tout faire pour qu'il n'en demeure pas un.
Cette résolution la fit recouvrer ses moyens comme par miracle. Elle allait trouver des réponses, allait tout savoir, et dès aujourd'hui. Elle ne serait plus jamais la Kelly naïve et insouciante qu'elle était. Elle ne le pouvait plus après tout ce qui s'était passé.
En remontant sa main pour essuyer ses larmes, elle repoussa délicatement sa mère sans arriver à faire preuve d'autant de détermination qu'elle l'aurait voulu. Cette femme, malgré tout ce qu'elle lui avait appris, restait sa mère. Et, au fond, tout ce qu'elle avait fait, c'était lever un énième mensonge qui constituait sa vie. C'était ce qu'elle voulait, non ?
En apercevant son visage, celui de Laurie-Anne se troubla. Ses yeux déjà humides se remplirent d'eau et une larme silencieuse glissa sur ses pommettes.
— Kelly, je suis tellement désolée, s'excusa-t-elle encore une fois. Mais on voulait tellement ton bien que certaines choses qui nous paraissaient bien ne l'étaient pas en réalité... Tu était tellement chère à notre coeur, notre premier enfant, notre premier bébé... Si tu savais comment je regrette, comment j'aurais parfois préféré que mon cœur de mère ne parle pas ! Je t'aime tellement, ma puce !
Ma puce.
Elle n'avait jamais eu de surnoms de la sorte et en entendre un associé à elle lui fit tout étrange. Ses grands-parents — ou peu importe ce qu'ils étaient d'autre — l'avaient toujours appelée par son prénom. Alors de se voir attribuer un nom doux, quelque chose qui la faisait se sentir aimée par de simples paroles, mit un petit baume sur son cœur. Elle sentit sa volonté la lâcher peu à peu, et ce qu'elle comptait dire avec une volonté d'acier se retrouva noyé d'émotions.
— Sais-tu combien de temps j'ai attendu pour vous connaître ? fit-elle, la lèvre inférieure tremblante. Huit ans. Huit longues années dans le mensonge. J'entendais les gens huer votre nom, des noms que je n'ai pas pu connaître avant le mois passé. J'ai vécu en étant certaine qu'au moins deux personnes de ma vraie famille se souciaient de moi quand ce n'était pas vrai. J'ai vécu dans l'incertitude, dans l'espoir. Personne n'a jamais voulu rien me dire sur vous. J'ai été obligée de m'inventer des choses, des choses qui n'étaient même pas vraies. Parce que sinon, je ne sais pas si j'aurais pu vivre une belle vie sans rien savoir sur vous. Alors j'inventais. Et tout ce que j'ai l'impression aujourd'hui c'est que tout ce qu'on m'a jamais dit est un mensonge. Que je ne suis juste pas assez bien pour avoir autre chose qu'un mensonge. Alors là, savoir tout ça, c'est juste...
Ses larmes lui échappèrent. Elle se mit à sangloter avidement, et son premier réflexe fut de se jeter dans les bras de sa mère. Dans des bras qui avaient tellement manqués à son existence. Des bras qu'elle avait dû imaginer, eux aussi, faute de mieux.
Elle pleura. Longtemps. Savoir tout ça d'un coup, c'était trop. Elle n'était plus capable d'assimiler quoique ce soit. Alors, pour faire taire toutes ces informations qui lui arrivaient par poignées, elle pleurait. Évacuait toutes ces émotions dans les bras de sa mère. Sa mère. Cette personne sur qui elle avait tant rêvé. Cette image rassurante qui l'avait accompagnée toute sa vie. Cette image qui se concrétisait enfin devant elle.
— Ils avaient peur, Kelly, lui expliqua Laurie-Anne en lui caressant les cheveux alors que ses pleurs se calmaient. Après ce qui était arrivé au maire, ils croyaient pour la plupart que nous étions des sorciers. Ils avaient peur de notre nom, quand nous sommes partis. Ils avaient peur de ce que nous pouvions leur faire, même à distance. Ils craignaient que nous envoyions sur eux une malédiction quelconque, quelque chose pour nous venger. La peur, Kelly, peut faire faire bien des choses. Y compris ne rien dire à une enfant sur ses parents. Ou abandonner un bébé.
Les bras de sa mère se resserrèrent davantage dans son dos après cette phrase et la tête de Laurie-Anne vint se réfugier au creux de l'épaule de sa fille.
Elle s'en voulait tellement. Cela brisait le cœur de la fillette de voir sa génitrice être aux prises de tant de remords. Elle aurait voulu la soulager, lui dire que ce n'était pas grave, mais la vérité était que la tache dans sa vie avait toujours été l'absence de ses parents. Et, au plus profond d'elle-même, elle ne pouvait pas s'empêcher de ressentir une pointe d'amertume en lien avec ce que ses parents avaient fait d'elle.
On ne pardonnait pas une erreur si facilement. On ne changeait pas toute une vie de doutes d'un claquement de doigts.
— Mais je ne comprends pas, fit-elle. Pourquoi est-ce que vous n'êtes pas venus me voir avant si vous vouliez me voir et que vous regrettiez ?
Lentement, sa mère s'écarta d'elle pour lui jeter un sourire tordu par la tristesse. Elle secoua la tête et, lorsqu'elle répondit, sa voix était étranglée par l'émotion.
— La peur.
L'incompréhension emplit la conscience de Kelly.
— Peur ? Mais de quoi ?
— De toi, fit-elle dans un soupir tressautant. Peur que tu nous rejettes, que tu ne veuilles pas nous connaître. De Mireille et Nicolas, aussi. On avait peur qu'ils veuillent te garder pour eux, qu'ils ne veuillent pas que tu nous rencontres. Peur des gens de Thiercelieux. De ce qu'ils auraient pu faire de toi, des idées à notre sujet qu'ils auraient pu te mettre en tête. De leur réaction s'ils savaient qu'on était venus te voir. De tellement de choses, Kelly !
La jeune fille secoua la tête et prit la main de sa mère. Puis, elle posa ses yeux sur son père, toujours assis à table. Il les regardait toutes les deux avec des larmes plein les yeux, comme s'il ne se sentait pas le bienvenu dans ce moment. Comme s'il s'imaginait qu'il avait moins manqué à la vie de sa fille que sa femme. Kelly lui fit signe de venir les rejoindre.
Lorsqu'ils furent ainsi, l'une des mains de chacun de ses parents dans les siennes, Kelly les regarda avec le plus grand des sérieux dans le blanc des yeux, alternant entre chacun d'eux.
— Vous ne devez pas avoir peur, dit-elle. J'ai attendu le moment de vous rencontrer toute ma vie et je ne vais jamais pouvoir oublier cette nuit. La nuit où j'ai enfin rencontré mes superbes parents. Des parents que j'aime de tout mon cœur. Des parents que je ne veux plus jamais quitter. Alors vous allez revenir avec moi à Thiercelieux et on va expliquer à tout le monde ce qui est vraiment arrivé. On va reconstruire notre vie. Ensemble.
Salut tout le monde !! Je vous retrouve cette semaine avec cette partie, que j'aime beaucoup. C'est vraiment dans celle-ci que j'ai "découvert" le caractère de la mère de Kelly et, franchement, je l'aime tellement !!! En relisant ce qu'elle dit au sujet de la peur, particulièrement la dernière phrase, ça m'a touché droit au cœur. Ça faisait un moment que j'avais écrit cette partie, alors la redécouvrir m'a vraiment fait quelque chose.
Sinon, côté écriture, il va falloir que je me remette à écrire parce qu'il me reste juste une partie complète de prête !! La 78 est très bien avancée, mais pas encore complétée, alors il va vraiment falloir que je me remette à écrire pour pouvoir continuer à vous offrir une partie toutes les semaines, surtout pour ce rush vers la fin ! Parce que oui, vous le sentez sûrement, mais la fin approche beaucoup trop vite à mon goût... Dans quelques milliers de mots, ça va être fini. Une aventure d'achevée. Alors pour l'instant, j'en profite au maximum !
Bref, je vous laisse là-dessus, dites-moi vos ressentis sur cette partie !! J'adore vous voir me parler de Nouvelle Lune ! À très bientôt !!
Et n'oubliez pas, restez positifs !
Elle a toute une personnalité, cette petite Kelly !!! Bravo Mariane !!! 🥰
RépondreSupprimerOui, effectivement !! Merci !
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