Nouvelle Lune (partie 72)

Réveillée en pleine nuit par Liam qui voulait l'emmener seule quelque part, Kelly se laissa guider par lui, aveugle, dans la nuit...

Kelly ne comptait plus le temps qui s'était écoulé depuis leur départ. Au début, elle avait tenté de compter les secondes qui s'écoulaient en prêtant attention aux déplacements de Liam au cas où quelque chose tournerait mal, mais elle avait vite abandonné, tout cela devenant trop pénible. De toute manière, elle était déjà mélangée et cela ne lui servait plus à rien. Pas quand elle ne pouvait pas se fier sur ses yeux.

Les pas de Liam étaient saccadés et, de nombreuses fois, il dut raffermir sa prise sur elle pour éviter de la lâcher. Alors, pour l'aider, elle avait noué ses bras autour de son cou. Sentir son corps ballotter de la sorte n'avait rien d'agréable, mais elle ne s'en plaignit à aucun moment. À la place, elle tentait de prêter attention à son environnement. Après quelques minutes de marche, des froissements de verdure et des frottements avaient commencé à résonner sur leur chemin. À quelques reprises, elle sentit des feuilles lui balayer le visage. Le son léger du vent était maintenant accompagné de l'agitation des feuilles et, de nombreuses fois, Liam craqua des branches sur son passage. L'ambiance formée était mystérieuse et laissait presque croire à un conte de fée. En se fiant au nombre de fois que son porteur dut la lâcher d'un bras pour craquer une branche ou pousser de la verdure, Kelly estimait qu'ils évoluaient dans une forêt tissée serrée et, donc, que c'était l'une des premières fois que Liam passait par ce chemin. Elle ignorait si cela devait la rassurer ou l'inquiéter davantage.

Après un temps indéfini, Liam s'arrêta et prit son souffle un instant avant de la déposer au sol. Enfin.

Sentir ses pieds atterrir sur un tapis de mousse fit battre le cœur de la fillette encore un peu plus fort. Sa respiration s'accéléra et, plus encore que lors de leur progression, ses sens s'affûtèrent.

— Tu peux enlever le bandeau, lui signala Liam.

Ils étaient donc bel et bien arrivés. Seuls, loin de tous, et dans un endroit qui était totalement inconnu à Kelly. Son cœur tambourinait dans sa poitrine lorsqu'elle posa une main incertaine sur le tissu. Tout à coup, elle n'était plus certaine de vouloir voir ce que le fils de Sylvie avait à lui montrer. Et si c'était quelque chose qu'elle n'aimait pas ?

Cependant, l'excitation l'emporta et, en tâchant de balayer ses inquiétudes qui lui disaient qu'elle n'avait pas pris la bonne décision en choisissant de suivre Liam, elle tira sur le bandeau.

La première chose qu'elle vit fut des arbres. À perte de vue. Dans l'obscurité, leurs feuilles noires se balançaient sous l'assaut du léger vent qui soufflait. Une odeur d'humidité régnait et tout ce qu'elle pouvait voir était de la verdure.

— Qu'est-ce que tu voulais me montrer ? demanda la fillette, incapable de discerner ce que cet endroit de la forêt avait de si spécial.

À ses côtés, Liam sourit et croisa les bras, visiblement fier de quelque chose.

— Retourne-toi.

Kelly, en obéissant, tomba sur une minuscule cabane en bois rond percé d'une seule fenêtre qui n'avait, mis à part son existence, absolument rien d'extraordinaire. À quoi pouvait-elle bien servir, si loin au fond des bois ? 

À ses côtés, Liam était tout sourire, mais le reste de son attitude avait quelque chose d'étrange. Il semblait... ému. 

— Allez, entre ! l'invita-t-il en déglutissant. Je ne t'ai quand même pas emmenée jusqu'ici pour que tu restes devant l'entrée !

Alors, avec hésitation, la fillette fit les deux pas qu'il lui manquait pour accéder à la porte et posa sa main sur la poignée.

Voyant que son accompagnateur ne bougeait pas, elle s'interrompit et tourna la tête dans sa direction.

— Tu viens ?

Avant de lui répondre, l'homme essuya sa joue, comme pour y effacer une larme. Et, toujours souriant, d'une voix tremblante, il répondit :

— Non, non. Je vais t'attendre dehors. Entre.

Une mélange de curiosité et d'angoisse prit place en elle. Elle s'apprêtait à se lancer seule dans l'inconnu sans visage connu avec elle pour la rassurer. Et ce qu'elle s'apprêtait à voir rendait le fils de Sylvie émotif comme elle ne l'avait jamais vu. Était-elle vraiment prête ?

La fillette demeura un long moment ainsi, à simplement fixer Liam pour espérer le voir changer d'avis, mais tout ce qu'il fit fut de l'encourager d'un geste à entrer. Alors, hésitante, elle tourna la poignée.

Un cliquetis résonna lorsqu'elle ouvrit la porte. Et puis, devant ses yeux suspicieux se révéla une petite cabane, tout ce qu'il y avait de plus normal. Elle était pauvrement meublée et rien ici ne semblait avoir de valeur. Il n'y avait que le strict minimum. En faisant un pas, elle découvrit un lit de paille posé au sol superposé d'oreillers en piteux état et d'une couette rongée par les mites. Près du lit de fortune était posée une petite table rectangulaire composée de branches d'un diamètre plus ou moins large et secondée de deux tabourets, en rondins eux aussi. À la vue de tout ceci, la fillette ne put s'empêcher de ressentir une légère déception. Elle qui s'attendait à quelque chose de grandiose, il n'y avait rien là qui mérite une grande attention. La jeune fille ne pouvait s'empêcher de penser que ce n'était pas cela que Liam voulait lui montrer. Il devait bien y avoir autre chose, cela ne pouvait pas être tout. Il lui avait promis quelque chose qu'elle ne regretterait pas. Et il ne pouvait pas être venu la chercher en pleine nuit pour éviter qu'on ne les voit seulement pour lui montrer... une cabane en ruines.

En cherchant quelque chose qui mériterait son attention, Kelly fit un pas de plus dans la maisonnette, puis un autre... et se retrouva complètement à l'intérieur, à tourner la tête de gauche à droite. Dans la semi-pénombre, seule la lueur de la lune, à présent totalement dégagée, filtrait par la porte et la fenêtre et lui permettait de voir quelque chose

Brusquement, elle sursauta en apercevant, dans un coin de la cabane, deux silhouettes. Son premier réflexe fut d'émettre un petit cri et de faire un pas vers l'arrière. L'adrénaline se mit à affluer d'un coup dans ses veines alors qu'elle réalisait dans quel pétrin elle s'était mise.

Elle était seule avec Liam, au plein milieu des bois, personne ne savait où elle était et elle était face à deux inconnus. Qui lui voulaient peut-être du mal. Peut-être même que Liam lui voulait du mal.

D'un coup, les souvenirs des dernières paroles de son grand-père affluèrent à sa mémoire. Celles où il décrivait des sorciers qui faisaient le mal. Qui étaient responsables de la situation qu'ils venaient de traverser. Qui leur avaient causé tant de mal. Était-elle réellement tombée dans un piège de la sorte ? Avait-elle pris la pire décision de toute sa vie ?

Son cœur battait la chamade sans qu'elle ne puisse l'en empêcher. Ses yeux passaient de la porte ouverte aux ombres et des ombres à la porte. Pouvait-elle tenter de s'enfuir ? Elle ne savait même pas où elle était, ni vers où était sa maison. La vérité, cruelle, était qu'elle était perdue. Pourquoi avait-il fallu qu'elle accepte ? C'était de la folie ! Intérieurement, elle se maudit d'avoir consenti à l'offre de Liam. À présent, plus rien n'empêcherait les sorciers de l'attraper et de faire ce qu'ils voulaient d'elle. Elle était faite.

En réalisant qu'elle les avait vues, les silhouettes avancèrent à pas précaires vers elle, presque comme si elles doutaient, elles aussi. Cependant, elles n'avaient pas l'air menaçantes. Dans les pâles rayons de la lune qui parvenaient à les atteindre, Kelly parvint à deviner un homme et une femme blottis l'un contre l'autre qui étaient aussi, sinon plus, choqués de la voir qu'elle. Ils n'avaient sûrement pas beaucoup de visite, seuls au fond de cette forêt. Et s'ils ne savaient même pas que Liam allait la conduire ici ? Et s'ils ne connaissaient même pas Liam ?

Doucement, son inquiétude tomba et fut remplacée par une sincère curiosité. Qui étaient ces personnes ? Liam lui avait promis qu'elles n'étaient pas des sorcières, avant leur départ, et au fur et à mesure que les secondes passaient, elle le croyait de plus en plus. Après tout, ce n'était pas parce que des gens vivaient en retrait de tout et dans une maison en piteux état qu'ils étaient nécessairement mauvais ou avaient quelque chose à cacher. Alors elle ne bougea pas, laissant malgré tout une distance de sécurité entre eux, et les regarda avancer.

Lorsque les individus arrivèrent en plein dans la lumière lunaire qui filtrait par la fenêtre, Kelly put enfin les distinguer clairement. La femme, grande et blonde, avait les deux mains rabattues devant sa bouche et ses yeux remplis de larmes la fixaient avec un émoi sans nom. Mais tant de bonheur filtraient au travers d'eux que Kelly sentit, d'un coup, tout ce qui lui restait de crainte disparaître. Cette femme la faisait se sentir chez elle, la faisait se sentir la bienvenue. Elle avait l'impression d'être importante, chose qu'elle avait très peu ressenti dans sa vie chez quelqu'un d'autre que ses proches.

L'homme, pour sa part, dépassait la femme, sans doute son amoureuse, d'une demie-tête. L'une des ses mains gagna sa taille lorsqu'elle s'interrompit subitement alors que l'autre se posa sur son cœur. Lui non plus ne la lâchait pas des yeux et la dévorait du regard, analysant chacun des détails la composant. Il était incrédule et clignait incessamment des yeux.

Kelly, qui n'avait jamais déjà, à ses souvenirs, tant été sous le feu des projecteurs, détailla rapidement le couple avant de conclure qu'ils ne paraissaient pas menaçants. Toute l'émotion qu'elle voyait chez les locataires de cette cabane la fascinait, l'hypnotisait. Elle avait la féroce impression que quelque chose lui échappait, avait cette certitude que, eux, la connaissaient alors que le contraire n'était pas réciproque. Elle les fixait avec entêtement comme pour faire ressortir leurs visages de sa mémoire. Et, presque sans s'en rendre compte, elle avança de quelques pas pour mieux les observer. Mais sans succès. Les boucles légères de la femme, son visage ovale et ses yeux marrons ne lui disaient rien, tout comme la tignasse brune en désordre de l'homme et ses sourcils hauts. Pourtant, sans savoir pourquoi, quelque chose en elle tiquait. Elle avait cette sensation de familiarité qui avait pris naissance dans son ventre dès qu'elle les avait aperçus. Mais qu'était-ce donc ?

Comme si son avancée vers eux l'avait encouragée, la jeune femme, qui devait tout juste avoir la trentaine, s'arracha à la prise de son mari pour avancer d'un pas supplémentaire. Et puis, comme si elle n'en pouvait plus de rester immobile à la dévisager, elle s'élança en tendant les mains vers elle, une larme glissant sur sa joue.

Surprise, la fillette recula d'un pas, ce qui n'empêcha pas la femme de saisir ses mains entre les siennes comme pour s'assurer qu'elle était bien réelle. En constatant que c'était le cas, ses genoux la lâchèrent et elle tomba à sa hauteur, laissant tomber ses paumes. Leurs visages n'étaient maintenant plus qu'à quelques centimètres. Ses yeux fous la dévisageaient, passant frénétiquement sur tous les détails de son visage. Et puis, après de longues secondes durant lesquelles Kelly se demandait comment réagir, les doigts de la femme passèrent en de longs sillons sur la ligne de sa mâchoire. Kelly eut un mouvement de recul devant ce contact si inattendu, mais les larmes et la tendresse présents dans les yeux de cette femme la dissuadèrent de se soustraire totalement à son emprise. Alors elle resta immobile, à observer avec une curiosité renouvelée les actes de la blonde. Une blonde comme elle. Avec des cheveux qui lui ressemblaient étrangement. 

Doucement, la femme saisit sa main et l'embrassa avec délicatesse. Ses lèvres étaient chaudes sur sa peau refroidie par l'air de la nuit et un petit frisson glissa sur ses épaules. L'émotion que ressentait la femme l'atteignait énormément et, devant ce geste, elle avait plus que jamais l'impression que quelque chose de capital lui échappait. Quelque chose qu'elle aurait dû savoir sans arriver à saisir quoi. Les larmes silencieuses qui coulaient sur le visage de l'adulte le lui confirmait. Brièvement, les yeux de la fillette glissèrent sur l'homme resté en retrait. Lui aussi pleurait, mais il s'acharnait à essuyer les quelques larmes qui lui échappaient. Un petit sourire planait d'ailleurs en permanence sur son visage.

Décidément. Kelly ne comprenait rien à ce qui était en train de lui arriver.

Ses yeux se reportèrent sur la jeune femme qui la regardait comme si elle était la plus belle chose qui existait sur cette terre. 

— Kelly ?

La jeune fille sursauta à l'entente de son nom, prononcé avec tant d'espoir. Comment pouvait-elle la connaître ? Est-ce que quelqu'un pouvait lui avoir parlé d'elle ? Mais pourquoi aurait-il fait cela ? Et qu'est-ce qu'ils auraient pu avoir à faire de sa petite vie inintéressante ?

Dans ses propres prunelles passa le doute. La tentative, toujours vaine, de se rappeler de ces visages. Ainsi, ils la connaissaient réellement. Mais d'où ? Et comment ? Ces interrogations la hantaient et, à force de leur faire face trop longtemps, elles commencèrent à l'énerver. Alors, elle prit son courage à deux mains pour, enfin, dissiper ses incertitudes. La pièce qui manquait à cette énigme.

— Qui êtes-vous ?

Sa voix était tremblante, presque comme si elle redoutait la réponse. Incertaine, aussi, comme si, en plus de la curiosité, la peur de savoir la vérité l'habitait aussi. Parce qu'on ne regardait pas quelqu'un d'insignifiant comme cette femme la regardait. Il y avait forcément beaucoup plus.

Sa question embrouilla encore plus les yeux de son interlocutrice. Dans ses yeux brilla un amour fou et, avec difficulté, elle déglutit. En lâchant ses mains et en essuyant ses joues mouillées de larmes, elle ne parvenait pas à la lâcher des yeux. Elle la regardait avec des yeux mouillés. Elle la regardait avec une émotion si intense que Kelly ne parvenait pas à la décrire. Elle la regardait comme si plus rien au monde n'existait à part elle.

Elle la regardait... comme une mère regarde sa fille.

Et alors, brusquement, elle comprit. La vérité la fit écarquiller les yeux de surprise et, brutalement, ses mains vinrent couvrir sa bouche alors qu'elle reculait d'un petit pas, choquée. La vérité. Cette vérité qu'elle aurait aimée qu'on lui dise tellement avant. Celle qu'elle attendait depuis qu'elle était haute comme trois pommes. Elle le devina alors même que la femme prenait son souffle pour lui confirmer ce qu'elle pensait, la gorge nouée et les joues inondées de larmes.

— Nous sommes tes parents, Kelly.

Je  crois qu'il n'y a rien d'autre à dire, cette partie est ma préférée de toutes les parties de Nouvelle Lune, je crois. De toutes celles déjà publiées en tout cas, et peut-être de tout le roman (je ne le sais pas, je n'ai pas encore fini de l'écrire !). Écrire cette partie a été un moment superbe, c'était une scène que j'attendais d'écrire depuis le début du roman et vous la rendre enfin disponible aujourd'hui est une joie pour moi. C'est vraiment une partie que j'attendais de vous faire lire avec impatience, et que j'imagine vous attendiez aussi. Quand je suis entrée dans la situation finale, et même le dénouement, j'ai commencé à recevoir des commentaires sur si on saurait ce qui était arrivé aux parents de Kelly, et j'avais toutes les misères du monde à ne rien vous dire alors que cette partie était déjà écrite depuis un moment. La relire, ce soir, a vraiment été une douceur et la redécouvrir a fait ma journée. Vraiment, je me répète, cette partie est ma préférée de tout Nouvelle Lune. Et ça a été tellement dur de l'écrire en même temps, de faire que Kelly ne se rende compte de rien alors que moi, je savais très bien qui se tenait devant elle !!! Et en plus, j'avais juste envie d'arriver au moment où elle se rendrait compte que c'était ses parents et... AAAAAAAAHHHH !!!! Bref, je suis super contente que vous puissiez enfin la lire, j'espère tellement que vous l'avez aimée autant que moi !!!

Bon, c'est l'heure de se donner rendez-vous la semaine prochaine (l'école va déjà être recommencée pour moi, ça me fait tout drôle !), j'ai si hâte d'avoir vos retours en commentaire !!! Vraiment, n'hésitez pas à me donner votre ressenti, même si vous écrivez anonymement (ça serait juste agréable que vous signiez à la fin !), j'ai tellement hâte de vous lire !!! Bon, à très bientôt en commentaires j'espère !!!!

Et n'oubliez pas, restez positifs !