Nouvelle Lune (partie 67)
Après le départ de Nicolas, seul, vers le lieu de sa pendaison, Mireille annonça à Kelly et Alex qu'il fallait qu'ils aillent se coucher et la fillette, après avoir accédé à la demande de sa grand-mère, refusa l'aide qu'Alex voulait lui apporter, démunie d’émotions...
Kelly se réveilla, son visage chatouillé par les premiers rayons du soleil. Elle se sentait affreusement épuisée, comme cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas été. Tout en elle lui demandait de se rendormir, de sombrer au pays des rêves pour ne jamais s'en réveiller. Tout autour d'elle était silencieux et lui donnait une opportunité en or d'y accéder, mais, étrangement, quelque chose l'empêchait de le faire.
Quelque chose la préoccupait, mais les brumes qui s'accrochaient à son esprit l'empêchaient de savoir quoi.
Lasse, elle se retourna sur son matelas en renouant malgré elle contact avec la réalité en laissant le tic-tac régulier de l'horloge de la cuisine emplir ses oreilles. Et alors, elle dut bien admettre qu'elle ne se rendormirait pas et elle entrouvrit les paupières l'une après l'autre péniblement. La lumière matinale vint l'éblouir et, dérangée, elle fronça le nez. Depuis quand la clarté était-elle si agressive ? Cela faisait pourtant un bon moment qu'elle ne l'avait pas dérangée de la sorte. Qu'est-ce que ce matin avait de particulier ?
Elle avait dormi.
À peine eut-elle fini de se poser cette question que la réponse s'imposa avec une force hors du commun. Un choc qu'elle avait rarement connu et qui la fit ouvrir les yeux subitement sans même songer à la lumière. Elle avait dormi. Elle avait dormi.
Elle avait dormi.
La force de cette révélation la fit s'asseoir bien droite dans son lit. Sa fatigue disparut instantanément alors que cette information ne cessait de tourner en boucle dans sa tête. Parce que oui, elle avait dormi, et pas qu'une petite sieste. Une nuit entière. Et elle était fatiguée. Chose qu'elle n'avait pas ressenti depuis la dernière nouvelle lune.
Qu'est-ce que cela signifiait ?
Puis, elle se rappela cela. Ce qui aurait dû occuper tout son esprit dès son réveil. Car si, hier, elle savait qu'il y avait encore une chance que cela ne soit pas le cas, aujourd'hui, c'était certain. Elle n'avait plus le droit de douter.
Son grand-père était mort.
Et cette fois, après la nuit qu'elle venait de passer, ses émotions ne la ménagèrent pas. Elle manqua de souffle. Sa respiration se bloqua dans sa poitrine et, de la surprise, ses traits passèrent à la tristesse. À la souffrance. Sa main se posa devant sa bouche. Elle retint avec difficulté un cri de détresse. Il était vraiment mort, maintenant. Son grand-père. Son tuteur. Celui qui avait accepté de l'accueillir, de l'élever, de prendre soin d'elle alors que personne ne voulait le faire.
C'était fini.
Plus jamais elle ne reverrait son visage, ses traits calleux et ses yeux reflétant tellement de volonté. Plus jamais elle ne ressentirait la satisfaction d'avoir réussi à lui décrocher un sourire, ou celle de le voir fier d'elle.
Parce qu'il était mort.
De ses yeux ouverts sur cette réalité trop cruelle coula une larme vagabonde, une de celles qui auraient dû couler tellement de temps avant maintenant.
Et au souvenir de ce qu'elle avait dit à Alex la veille, elle ne put plus retenir les larmes qui s'accumulaient sous ses paupières.
Précipitamment, pour éviter de réveiller son meilleur ami et parce qu'elle n'avait toujours pas la force de lui expliquer ce qu'elle ressentait ou même de mettre des mots sur ses sentiments, elle contourna le matelas du garçon et sortit de sa chambre par la porte ouverte.
Si elle demeurait à l'intérieur, elle savait bien qu'elle risquait de réveiller toute la maisonnée.
Ou du moins ce qui en restait.
Alors elle sortit à l'extérieur, où elle pourrait s'adonner à ses pleurs sans risquer d'avoir à raconter ce qu'elle vivait, sans avoir à soutenir la présence de quelqu'un d'autre qu'elle-même.
Le vent et la fraîcheur propres à ces matins d'automne l'accueillirent silencieusement, piquèrent sa peau. Mais elle n'avait pas la force de s'en préoccuper. Le froid lui faisait du bien. Se livrer à lui lui faisait du bien. Dans ce moment où rien n'avait d'importance, les frissons qu'il lui procurait la faisaient sentir vivante après ce vide qui l'avait habitée la veille.
Kelly tomba à genoux dans la rue et, alors, le premier cri de souffrance émergea de sa poitrine. Il la consuma, résonna en elle comme un appel à l'aide. Sa tête trouva refuge sur ses jambes rabattues sous elle. Elle cria, extériorisa cette douleur qui lui faisait perdre la tête.
Elle ne reverrait jamais son grand-père. C'était fini. Ces moments de complicité qu'elle avait eus avec lui. Son sens si aigu de la justice. Son désir profond de bien faire les choses. L'amour si particulier qu'il portait à elle et Mireille. Tous morts avec lui.
Son amour pour son tuteur la brûlait de l'intérieur. Il la faisait tout oublier ce qui n'avait pas de lien avec lui, avec cet être cher qu'elle aimait tant, qui ne pouvait pas être mort. Mais qui l'était tout de même.
C'était là la triste réalité. Rien ne pourrait ramener son grand-père. Il était parti pour toujours. Elle ne le reverrait plus jamais.
Un instant, l'espoir frivole qu'il se soit échappé, qu'il ait trouvé un moyen d'échapper à la mort, lui effleura l'esprit. Une seule seconde. À peine eut-elle commencé à s'y attacher que quelque chose au plus profond de sa conscience le désintégra. Une certitude qui lui fit comprendre qu'elle n'avait rien à espérer de ce côté. Comme si quelque chose en elle était mort en même temps que Nicolas. Quelque chose qui l'empêchait d'espérer le voir réapparaître. Comme si un lien s'était rompu. Un lien qu'il y avait entre eux et qui n'existait plus.
Les larmes lui brouillaient la vue, la tristesse lui empoignait la gorge et la faisait respirer avec peine. Une part d'elle était morte, cette nuit. Une partie qui lui était vitale. Cela la faisait donc affreusement souffrir.
Le temps se mit à lui paraître superflu. Qu'importe les minutes, les heures qui passaient. C'était de toute manière du temps qu'elle passerait à regretter les moments avec son tuteur. Du temps dont elle serait incapable de profiter. La vie venait de prendre un tournant indésirable qui la rendait fade et insipide. Jamais elle ne pourrait retrouver sa saveur d'antan, celle du bonheur et des rires. Parce qu'il lui manquait un élément essentiel.
Un énième cri de douleur lui érafla la gorge.
Jamais la fillette n'aurait cru qu'il était possible de souffrir autant. De regretter quelqu'un autant. Elle n'arrivait plus à trouver un seul point positif à la vie, un seul point qui pourrait lui redonner le goût un jour de sourire. L'obscurité s'appropriait sa tête, lui faisait perdre tous ses moyens. Elle se faisait engloutir, se faisait entraîner dans une sensation d'apnée. Elle suffoquait. Broyait du noir. Se faisait vicieusement entraîner vers le fond dont un quelconque retour serait difficile. Lui prendrait plus d'énergie qu'elle n'en possédait.
Et alors, le bruit d'une porte, au loin.
Quelqu'un venait de sortir de chez lui.
Malgré tout, elle continuait de se faire engloutir toujours plus profondément, ses cris se multipliaient.
Puis, une main sur son dos.
Chaude, délicate, empathique.
Elle n'avait pas envie que cette main soit là. Elle n'avait pas besoin d'être prise en pitié, n'avait pas besoin de se faire dire que tout irait bien alors que ce n'était là que purs mensonges. Comment tout pourrait-il bien aller alors que Nicolas venait de mourir ? Quiconque se déciderait à lui dire ça était vraiment un bel égoïste sans coeur qui ne se souciait pas des autres. Ni d'elle, ni de son tuteur. Peut-être que tout allait bien pour cette personne parce qu'elle ne vivait pas vraiment de perte. Et cette personne n'était pas capable de se mettre dans sa peau, de ressentir avec autant de douleur ce que, elle, ressentait. Peu importe qui était cette personne, Kelly ne voulait pas d'elle. Être seule était-il vraiment trop demander ?
La fillette s'apprêtait à se retourner vivement pour hurler à cet intrus de dégager, de la laisser tranquille lorsqu'elle se fit enlacer par derrière avec une infinie douceur. Étrangement, au lieu de la déranger, cette étreinte la rendit muette de stupéfaction. Ses cris cessèrent, les larmes semblèrent figer sur ses joues et sa haine du monde entier, de la vie qui avait fait mourir son tuteur, se dilua. Si elle n'était pas certaine de qui était là, elle en avait une bonne idée. Une seule personne possédait ces petits bras et aurait osé l'approcher avec tant de confiance alors qu'elle était dans cet état. C'était une personne qu'elle avait déjà trop blessée ces dernières heures et qui, elle aussi, souffrait. C'était inévitable. Et qui pourtant ne pleurait pas. Restait forte. Tentait bien mieux qu'elle de passer par-dessus la perte. Et qui avait bien plus perdu qu'elle.
Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle se laissa faire.
Autour d'elle, les bras d'Alex étaient rassurants et, par leur simple contact, Kelly sut qu'il partageait sa peine sans pour autant l'exprimer comme elle. Ils étaient un signe de confiance et, dans cette marée noire qui envahissait la jeune fille, il fut un rayon de soleil qui lui rappela que peut-être, en fait, il lui restait quelque chose dans ce monde auquel se rattacher.
— Je sais, Kelly. Je sais.
Ces paroles de soutien, si brèves, cachaient une montagne de compréhension. Et, si quelqu'un pouvait bien la comprendre, quelqu'un qu'elle-même ne pouvait pas se vanter de comprendre encore assez bien, c'était Alex. Lui savait vraiment. Lui avait connu la perte sous toutes ses formes, lui avait bien plus perdu qu'elle. Sa famille. Sa maison. L'amour de parents aimants.
Alors elle accepta son étreinte, se laissa aller tout contre lui alors qu'elle le sentait s'agenouiller derrière elle. Puis, les larmes reprirent, mais avec infiniment plus de douceur, cette fois. D'avoir Alx avec elle, un symbole si fort de deuil et de capacité à se relever malgré les aléas de la vie, la fit voir les choses avec un oeil neuf, l'aida à ramener la paix en elle. Son grand-père était mort. Mais elle n'y pouvait rien, et se lamenter ainsi sur son sort ne servait à rien. Si elle n'oubliait pas Nicolas, elle pourrait continuer à vivre. C'était d'ailleurs ce qu'il lui avait supplié de faire. De vivre une belle vie. Et, si les jours qui suivraient le départ de cet être cher s'annonçaient insoutenables, elle ne pouvait pas continuer à se lamenter ainsi. Ce n'était pas ce que son tuteur aurait voulu. Les détails de leur dernière discussion s'étaient échappés de sa mémoire, mais elle revoyait au travers du nuage de fumée qui occupait son esprit en ce moment les excuses de Nicolas, ses souhaits pour elle.
Certes, il ne reviendrait jamais.
Il était parti rejoindre Esteban, Fred, Cynthia, Louis et tous ceux qui avaient perdu la vie durant les dernières semaines.
Il était au pays de l'éternité, maintenant.
Et elle... Elle, tout ce qu'elle pouvait faire pour le moment était de respecter les dernières volontés de tous ces gens qui les avaient quittés.
En vivant comme s'il n'y avait pas de lendemain, comme si chaque jour était son dernier.
En hommage à tous ceux qui ne seraient plus jamais.
Eh oui, nous sommes bien lundi et c'est bien aujourd'hui que cette partie a été publiée ! Et oui, j'ai toujours cinq parties d'avance sur mon rythme de publication. Mais le fait est que cette semaine, après avoir goûté à ce que ça faisait d'écrire sur le bord de la mer avec les vagues en arrière-plan qui filtrent à travers la musique de mes écouteurs (que je m'assurais de ne pas mettre forte justement pour pouvoir entendre les vagues), je n'ai pas touché à Nouvelle Lune. Alors que je m'étais arrêtée la semaine passée sur une scène que j'attendais d'écrire depuis le début du roman (ne cherchez pas de logique). Mais je crois que c'est vraiment parce que j'avais envie d'aller écrire sur la plage et que, bien... la mer est à 4h de route de chez moi. Alors je n'ai pas été très productive cette semaine, je n'arrivais pas à écrire, vraiment... et aujourd'hui j'ai fait "mais ça ne va plus, il faut que je recommence à écrire, surtout si près de la fin et avec une telle scène qui m'attend (oui, je vous fait languir 😜) ! Alors je me suis remuée aujourd'hui, j'ai fait une panoplie de choses que j'avais à faire et, plutôt que de vous faire attendre à la semaine prochaine pour publier cette partie, je me suis dit que vous seriez contents de l'avoir cinq jours plus tôt !
Donc voilà, c'est tout pour aujourd'hui ! Et, promis, je vais essayer très fort de publier la prochaine partie la fin de semaine prochaine, mais j'ai quelque chose samedi et dimanche toute la journée, alors je ne promets rien ! Mais au pire, ça devrait être disponible lundi ! Donc voilà, à bientôt tout le monde !! ❤
Et n'oubliez pas, restez positifs !
Pauvre petite Kelly... 😢
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