Nouvelle Lune (partie 56)

 Abattue par le contenu de la lettre adressée à Cynthia rappelant à Kelly ses propres souvenirs, Mireille l'aida à revenir au positif et, par la suite, ensemble, elles aidèrent Alex, le plus touché d'entre eux, à se remettre de sa lecture...

La nouvelle du décès de William avait fait le tour de Thiercelieux à une vitesse hallucinante. Il régnait dans les rues un sentiment d'abattement. Plus aucun son ne provenait du centre du hameau animé quelques heures auparavant seulement par les travailleurs chargés de l'avancée du cimetière et les rues étaient désertes. La nature même semblait s'être mue dans un silence inconfortable et un vent présageant une averse s'était levé.

Avec tout ce qui s'était passé chez Alex, Kelly avait presque réussi à oublier ce qu'elle avait vu le matin même. Presque. Mais, dès qu'elle mit le pied dehors, les bras chargés d'effets personnels de son meilleur ami, l'ambiance lugubre la ramena aussitôt dans cette scène ignoble qu'elle aurait tout fait pour effacer de sa mémoire. William était mort. Ils avaient découvert son corps. En miettes, déchiqueté, le coeur arraché.

Ce rappel lui arracha un frisson de dégoût mal dissimulé qui fit glisser les yeux de Mireille dans sa direction, regard qu'elle s'appliqua à ignorer. Elle n'avait pas besoin de fournir à sa tutrice une raison de plus de s'inquiéter pour elle. 

Leurs pas s'enchainaient, silencieux, dans le calme menaçant des routes de terre. On aurait presque pu croire que la population entière de Thiercelieux avait mystérieusement disparue. Seuls leurs pas réguliers brisaient le silence qui habitait les environs. La mort brutale de William semblait avoir anéanti le faible espoir de retrouver une vie normale des habitants du hameau. Cela était injuste. Aux yeux de Kelly, la mort d'Esteban, ou même de Fred, était bien pire que celle de ce prétentieux William.

Qui venait tout de même de trouver la mort. 

Et qui méritait un minimum de respect.

La culpabilité vint la titiller un instant, mais elle s'empressa de la refouler. Elle n'avait pas de temps à perdre avec cela. Pour le moment, elle devait bien plus soutenir Alex dans son deuil que d'assurer le quelconque respect d'un défunt.

Le regard de la fillette se tourna discrètement vers son ami, qui semblait plongé dans ses réflexions. Cependant, son visage ne dépeignait aucun sentiment négatif, ce qui soulagea la conscience de la jeune fille. Alex semblait bien aller, pour le moment. Restait à espérer que cela se prolongerait. 

— Au secours ! Quelqu'un, à l'aide !

L'appel, sorti de nulle part, résonna dans les rues vides comme un coup de tonnerre. Surprise, Mireille freina net et s'empressa de se retourner vers la provenance du cri, vite imitée par ses protégés. Dans le soleil du midi, Kelly vit accourir une silhouette à la respiration hachurée par une course folle. En identifiant l'identité du nouveau venu, la jeune fille en eut le souffle coupé. Cela n'était pas vrai. Ça ne pouvait pas l'être. Jamais cette personne n'aurait pu crier dans ces rues desquelles elle s'était volontairement exclue. Jamais elle n'aurait pris le risque d'appeler quelqu'un de Thiercelieux en toute connaissance de cause. Jamais. 

Et pourtant, c'était bien Liam qui venait à leur rencontre, à la rencontre de la famille de Nicolas qu'il haïssait tant, en agitant les bras et arborant un air totalement paniqué. Kelly n'osait pas le croire. Cet homme qui l'intriguait tant, qui l'avait laissée avec tant de questions et si peu de réponses, à qui son grand-père semblait en vouloir personnellement, venait vers eux de son plein gré. Et visiblement avec une quête précise en tête.

Il ne fallut qu'une seconde à Mireille pour réaliser qui venait vers eux, et une autre encore pour se décider à s'élancer dans sa direction, ses sens dans un émoi qu'elle ne s'appropriait qu'en situation d'urgence. 

Les yeux de Kelly trouvèrent naturellement ceux de son meilleur ami par-dessus la pile d'objets s'accumulant dans ses bras et, sans avoir à prononcer un seul mot, ils s'élancèrent à la suite de leur tutrice. 

En arrivant près de l'homme qui faisait face à Mireille, les enfants constatèrent que Liam était loin d'être lui-même. Sa prudence habituelle était tombée et il semblait prêt à s'en remettre à n'importe qui. N'importe qui qui aurait pu l'aider. 

La vieille femme posa avec inquiétude sa main sur l'épaule de l'homme. Même s'il devait mesurer bien une tête de plus qu'elle, Liam sembla soudain aussi vulnérable qu'un enfant sous son regard. Ses yeux, passant sans arrêt sur tous les détails constituant le paysage, trahissaient son profond mal-être. 

— Liam, prononça lentement Mireille. Qu'est-ce qui se passe ?

— C'est ma... elle ne va pas... j'ai besoin...

Son monologue décousu s'interrompit brutalement et le fugitif referma ses poings dans un mouvement désespéré sur ses cheveux en fermant les yeux comme pour éviter de penser à ce qui le perturbait. Mireille, dans sa douceur infinie et sa détermination sans faille, ne se laissa pas impressionner et continua d'insister :

— Liam, qu'est-ce que tu as ?

— Parce que tu penses vraiment que j'ai le temps d'expliquer tout maintenant ?

L'agressivité contenue dans ces mots ébranla Kelly, qui restait en retrait avec Alex sans oser intervenir. La faible retenue dont faisait preuve Liam venait de céder. Sa douleur paraissait si grande qu'il était incapable de se contenir, d'attendre patiemment plus longtemps.

Sans doute en réalisant qu'il risquait par son manque de patience de perdre ses seuls alliés du moment, l'homme passa une main nerveuse entre ses mèches décoiffées et, à court d'idées, trancha :

— Suivez-moi.

Mireille acquiesça solennellement, l'air de comprendre que quelque chose de grave se passait, et suivit avec résolution les pas du fugitif. 

Le temps se mit à s'écouler tel un sablier, lâchant un à un ses grains de sable. Chaque seconde, passée dans l'empressement du fils de Sylvie, semblait comptée, soupesée, analysée et jugée. Paraissait s'écouler beaucoup trop lentement pour le nouveau venu, qui semblait redouter plus que tout être pris par le temps qui les retenait sans scrupule toujours trop loin de leur but. Il empruntait tous les raccourcis possibles, tournait à une vitesse folle les coins des rues et ne cessait de se retourner en pressant Mireille, ralentie par son âge, ainsi qu'Alex et Kelly par la longueur de leurs enjambées. Tous saisissaient que le temps pressait, ou du moins, c'était ce que l'homme voulait leur faire croire, et ils faisaient tous les efforts possibles pour presser le pas. 

Lorsqu'ils s'arrêtèrent enfin, le trio que Liam avait intercepté prit un moment pour souffler avant de réellement réaliser où ils se trouvaient. En relevant la tête, Kelly vit la maison de Sylvie s'imposer dans toute sa grandeur. Et la vérité, ce que le fils de la vieille femme tentait de leur dire depuis son arrivée, prit tout son sens. Sylvie avait besoin d'aide.

En ouvrant la porte, le silence se présenta, obsédant, assourdissant. Le logement semblait à la limite vide, vide de vie. Un terrible pressentiment s'insinua en Kelly, à qui tous ces événements donnaient l'impression que tout ce qu'elle pourrait retrouver ici était des souvenirs enfouis et un cadavre fraichement enlevé à la vie. Lors de sa dernière visite avec Nicolas, la propriétaire des lieux était en proie, bien sûr, à une fatigue immense, mais également à toux profonde qui, si elle était inquiétante, l'assurait bien en vie. Alors que maintenant, dans ce silence de plomb, la mort aurait très bien pu rôder. 

Liam les conduisit en toute hâte jusqu'à une porte close qu'il ouvrit avec force, indifférent au bruit qu'il causait. Tout ce qui semblait importer pour lui à présent était sa mère. Et avec raison.

En entrant, la fillette tomba sur une vieille femme méconaisssable. Et surtout inanimée. Sa poitrine se soulevait à peine, et sa respiration était lourde et à peine perceptible. Un filet d'air minime n'était notable que grâce au sifflement étranglé qu'il émettait en étant relâché dans l'air ambiant. La mort, ici, dans cette pièce, semblait être partout, prête à surgir au moment propice. L'effet était terriblement désagréable et le sentiment poisseux collait à la peau de la fillette. Une seule certitude demeurait. Ils devaient absolument aider Sylvie, ou c'était la mort qui viendrait la prendre, et à coup sûr. Elle semblait avoir pris dix ans depuis la dernière fois que la jeune fille l'avait vue. Ses rides étaient encore plus profondes qu'auparavant, et il n'y avait sur ses os qu'une peau rabougrie. 

— Je ne sais pas ce qu'elle a, s'affola Liam, qui avait saisi la main de sa mère et s'y agrippait comme pour empêcher cette dernière de partir définitivement, de l'abandonner.  J'ai besoin d'aide, elle a besoin d'aide ! Je vous en prie, Mireille, si elle n'a pas de soins appropriés bientôt, elle mourra et... je ne pourrais pas le supporter ! Pas maintenant ! S'il vous plait !

Mireille prit un temps pour regarder, immobile, la femme sur son lit de mort. Puis, après un moment où tous retinrent leur souffle, elle conclut simplement :

— Je vais faire tout mon possible. Mais j'ai besoin d'aide, je ne réussirai pas à m'occuper d'un cas comme ça seule. Va me chercher un assistant, quelqu'un qui s'y connait en médecine le plus possible. Et prions pour qu'il ne soit pas déjà trop tard.

On a passé le cap des 75 000 mots dans Nouvelle Lune cette semaine !! 😀 Ça, c'est le trois quart de mon objectif parfait de 100 000 mots que je me suis fixé récemment pour cette histoire (ça ferait environ 400 pages dans un livre). Mais je ne sais pas si je vais me rendre jusqu'à mon objectif, ou même le dépasser. Ça va dépendre de comment Nouvelle Lune avance. Et puis, quand mon premier jet, que je vous partage ici, va être terminé, je vais commencer la réécriture. J'ai déjà une longue liste de ce que je veux changer dans ma version plus définitive ! 

Sinon, il n'y a pas eu de partie la semaine passée, comme vous avez pu le voir. Je vous l'ai dit, avec mon petit travail pendant le mois d'avril, je ne sais pas à quel point je vais pouvoir écrire. Mais il me reste deux fins de semaine, alors même si ça adonne que je ne peux pas écrire là, ça reviendra vite ! 

C'est d'ailleurs à cause de mon travail que je n'ai pas pu vous annoncer la semaine passée une grande nouvelle ! Je crois que plusieurs d'entre vous le savent déjà, parce que je l'ai annoncé sur mon compte Facebook personnel, mais j'ai gagné le concours littéraire de la région !!! C'est mon texte "L'éveil" qui a gagné le coeur des juges, une histoire de 1450 mots (50 de plus et je dépassais la limite permise !) qui est dans le même esprit que le briseur de conscience que je vous avais partagé sur ce blog entre les parties 23 et 24 de Nouvelle Lune. Et donc voilà, je tenais à vous partager ça ici, une belle petite victoire qui témoigne que la rigueur et la pratique que m'a apporté Nouvelle Lune a payé ! Parce que, vraiment, c'est grâce à ce blog, qui m'a appris à écrire régulièrement, que mon style a tant avancé depuis la dernière année. Quand j'ai relu la première partie de Nouvelle Lune, au début de ma relecture, j'ai d'ailleurs tout de suite vu la différence entre ma manière d'écrire avant et maintenant ! 

Bon, allez, assez parlé, je vous laisse aller pour le moment, parce que je pourrais faire une partie complète à vous raconter en détails chacun de ces points. Alors je vous dis à la semaine prochaine pour la suite de cette histoire !

Et n'oubliez pas, restez positifs !