Nouvelle Lune (partie 30)
Submergée par le choc de savoir que Nicolas avait torturé la mère de Liam, Kelly resta prise dans ses pensées un bon moment avant de, tout naturellement, demander à Nicolas s'il avait réellement produit cet acte horrible...
― Quoi! s'était aussitôt exclamé Nicolas. Qui t'as mis une idée si saugrenue dans la tête, Kelly! Tu crois vraiment que moi, je torturerais une bonne dame comme la mère de Liam?
La consternation résonnant dans les paroles de son grand-père amenèrent Kelly à douter des paroles de Liam. Celui-ci n'avait pas semblé mentir, mais son tuteur paraissait si sincère que le trouble se répandit rapidement dans l'esprit de la jeune fille.
― Non... Je ne le sais pas... marmonna-t-elle timidement, impressionnée par la virulence de son interlocuteur. C'est ce que Liam m'a...
Elle n'eut pas la chance de conclure sa phrase que Nicolas s'écria aussitôt, la coupant brutalement :
― Pardon? Tu veux dire que tu as vu Liam, que tu lui as parlé, et que tu n'as rien fait! Je croyais pourtant que tu avais bien compris qu'il était essentiel de le ramener et qu'il était dangereux! Tu aurais dû venir me chercher, moi ou un adulte qui aurait pu le maîtriser, pour le ramener et se départir d'une créature satanique causant un si grand tort au hameau!
Semblant soudainement réaliser la vacarme qu'il causait, l'homme jeta un regard en direction de la porte fermée de sa chambre où Mireille dormait, mais son épouse n'avait pas l'air de réaliser la scène qui avait lieu à quelques mètre d'elle.
Recroquevillée sur elle-même, la fillette, les larmes aux yeux, se défendit pâlement en disant qu'il lui avait semblé gentil, qu'il n'avait posé aucun geste menaçant et que tout dans son histoire semblait véridique et sincère à la réalité.
― Kelly, fit Nicolas en s'adoucissant et s'agenouillant devant elle pour poser une main sur son épaule, Liam n'est pas quelqu'un de sincère. Nous l'avons bien vu, au Conseil, où il s'est enfui sans expliquer ses propos. Certaines personnes sont d'excellents menteurs et manipulateurs et peuvent faire croire à presque tout le monde tout ce qu'ils veulent. Il ne faut pas croire les gens comme eux, qui modèlent la réalité à leur façon. Ils ne sont que de beaux parleurs.
La pupille de l'homme repassa les événements qui l'avaient porté à croire que Liam disait la vérité dans sa tête et constata que quelques moments ne semblaient pas coller à autre chose qu'à ce que le condamné à mort lui avait confié.
― De quoi Liam était-il au courant? s'enquit-elle d'une petite voix. Quand je t'ai dit, tantôt, que j'avais passé sur le chantier parce que j'avais vu Liam, tu as dit très sérieusement qu'il était au courant. Mais de quoi? Liam m'a dit que c'était que tu avais torturé sa mère pour tenter de le retrouver.
Le vieil homme hésita légèrement avant de lui répondre, l'incertitude dansant dans ses yeux noisette.
― Je ne sais pas si...
― Grand-père! le coupa sèchement Kelly.
Elle n'en pouvait plus de voir les adultes lui cacher des choses, pour simple raison qu'elle était "trop jeune pour entendre". Bien que réticente à se l'avouer, s'il y avait une chance de voir son grand-père sortir innocent de cette histoire, elle voulait la saisir. Et pour cela, elle devait savoir la vérité.
― Dis-le-moi.
L'homme inspira bruyamment.
― Quand es-tu devenue si grande?
Sa seule réponse fut de l'inciter à lui révéler ce qu'il cachait. Il soupira.
― Depuis que Liam est parti, je fais des recherches, avec la majorité des hommes de Thiercelieux, pour tenter de le retrouver. Je l'ai dit au moins de gens possible, parce que je savais que s'il apprenait que nous le cherchions pour tenter de lui servir le sort qui lui est destiné, il tenterait de revenir pour nous empêcher de le trouver, lui et ce qu'il semble cacher si jalousement. Le temps est donc compté avant qu'il ne découvre où nous nous réunissons et ne tente quelque chose pour entraver notre travail. Ce que j’appréhende beaucoup. Car si nous ne parvenons pas à mettre la main sur lui, Thiercelieux ne sera plus qu'un vague souvenir dans quelques semaines.
À cette idée, l'angoisse envahit Kelly. Tous les gens qu'elle chérissait vivaient à Thiercelieux. S'il devait, tout comme Esteban ou Fred, leur arriver malheur, elle ne savait pas comment elle passerait au travers du deuil. Elle serait tout simplement anéantie.
― Et, si tu veux, nous pouvons aller rendre visite à Sylvie. Elle est malade, c'est pourquoi elle n'est pas sortie les derniers jours, mais tu pourras bien voir qu'elle ne porte aucune marque d'une quelconque torture.
C'était sa dernière chance pour vérifier la véracité des paroles de Nicolas, et cela avait la possibilité de faire disparaître tous ses doutes. Il était certain que, si son tuteur avait bel et bien torturé Sylvie, cette dernière porterait des marques corporelles et psychologiques du châtiment. Elle accepta donc rapidement l'offre qui aurait l'éloge, si tout se déroulait comme il se devait, de chasser ses derniers doutes.
Leur rapide marche jusque chez la mère de Liam parut à Kelly prendre le double du temps habituel tant elle avait hâte de voir de ses propres yeux si son grand-père était innocent. Elle marchait toujours avec une certaine avance par rapport à Nicolas qui lui semblait bien lent, tout à coup. C'est pourquoi, lorsque la petite demeure qu'ils avaient à atteindre se profila devant eux, elle trépigna d'impatience sur le seuil jusqu'à ce que son accompagnateur parvienne à ses côtés au pas de la porte. Celui-ci cogna sur le bois dur qui résonna dans ses fondations pour prévenir l'occupante de l’habitation de leur venue.
La fillette crut qu'une heure entière passa avant que la porte ne bouge en tournant lentement sur ses gonds. Elle se retrouva finalement face à la petite femme aux cheveux blancs au visage empli de rides qui s'approfondissaient avec le temps. Son tuteur n'avait pas menti : elle était dans un piètre état. Ses yeux ainsi que son nez étaient bouffis et rougis par la maladie. Elle tremblait de tout son corps et de larges poches s'étendaient sous ses paupières inférieures, comme si des jours entiers de sommeil lui faisaient défaut. De plus, elle peinait à conserver son équilibre précaire et s'appuyait lourdement sur une canne de bois. Il était évident qu'elle n'aurait pas pu se montrer en public dans un tel état.
La vieille femme tressaillit en les apercevant après avoir lentement relevé la tête, comme si elle ne s'attendait pas à trouver quelqu'un sur son seuil.
― Bonjour Sylvie, fit d'une voix douce le mari de Mireille. Kelly a appris que vous étiez souffrante et tenait absolument à passer vous rendre visite. J'espère que nous ne vous dérangeons pas trop!
D'une lenteur infinie, le regard de la dame bifurqua sur la fillette qui avait bien compris que son tuteur ne pouvait pas confier à celle-ci qu'ils venaient pour vérifier si elle avait été torturée. Puis, un sourire épuisé naquit sur ses lèvres.
― C'est bien gentil à toi, jeune fille, dit-elle lourdement d'une voix chevrotante. Je dois dire que depuis que mon fils est parti, il me manque bien de compagnie. Mais j'ai parfois l'impression de...
Elle fut alors prise d'une affreuse quinte de toux. Alors que Sylvie crachait dans son bras, Kelly put bien l'observer. Elle ne portait qu'une chemise de nuit qui couvrait misérablement ses jambes et ses bras, ce qui donnait à la fillette une vue révélatrice de sa peau en parfait état, si abstraction était faite des marques que la vieillesse avait eu sur elle.
― Je vous remercie de votre visite, mais comme vous pouvez le constater par vous-même, je ne suis pas dans le meilleur des états pour discuter, fit-elle lorsque sa toux cessa tout en tentant un rire incertain.
― Merci de ce moment, Sylvie. J'espère vous recroiser bientôt dans les rues en pleine santé!
Un voile de tristesse passa sur les traits de la femme alors qu'elle refermait la porte, laissant le duo seul à l'extérieur. Ils demeurèrent juste assez longtemps pour entendre la propriétaire de la demeure s'écorcher la gorge à nouveau avant de reprendre en silence le chemin de leur maison.
L'esprit de Kelly roulait à mille à l'heure en repassant l'image de la peau de Sylvie qui ne comportait aucune marque suspecte dans sa tête, encore et encore. Un grand soulagement — en même temps d'un sentiment poignant de trahison — l'emplit. Bien que Liam, à qui elle avait fait aveuglement confiance, lui avait apparemment menti, son grand-père était innocent. C'était tout de dont elle avait besoin pour se remettre à être en paix avec lui et ses sentiments à son égard. Songeant à ce qui aurait pu advenir de leur relation s'il avait fallu qu'elle demeure muette sur les confidences que le fugitif lui avait fait, elle remercia le ciel d'avoir eu le culot de mettre les faits devant celui qui lui semblait alors coupable tout en laissant une larme de joie glisser le long de sa joue. Un soulagement des plus profond la comblait.
Partie 30. Wow. Ça fait presque trente semaines (parce que, comme vous le savez, les premières parties ont été plus ou moins publiées dans la même semaine) que le personnage de Kelly mijote dans ma tête alors qu'avant, il n'existait même pas! Je trouve incroyable cette capacité d'imagination de l'humain. Il suffit d'une idée pour que certaines choses prennent vie, comme Kelly, Alex, Nicolas, Mireille et tous les autres que vous suivez — merci à vous tous!!! — depuis le début de leur aventure. Donc, s'il vous venait l'envie de partager mon blog pour permettre à d'autres personnes d'entrer dans l'histoire de Kelly, laissez-vous aller! J'espère que vous avez trouvé cette trentième partie digne de ce nom et qu'elle aura ébranlé vos convictions autant du côté de Nicolas que de Liam! 😉 J'ai très hâte de vous servir la semaine prochaine la partie 31 de Nouvelle Lune, mais en attendant...
Et n'oubliez pas, restez positifs!
Nicolas ou Liam ? Je ne sais plus... 🌺
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