Nouvelle Lune (partie 17)

 La nuit avait parue interminable à Kelly. Elle avait malgré elle ressassé sans cesse les paroles d'Alex durant toute la durée de celle-ci, et se faisait par le fait même souffrir. Elle avait tant pleuré qu'elle doutait de pouvoir reproduire cette action de toute la semaine. Elle se leva donc le matin venu les yeux gonflés et le cœur toujours meurtri. La réaction d'Alex, la veille, l'avait tant blessée qu'elle n'avait plus envie de rien. Elle aurait voulu qu'il ne reste qu'elle, son lit et sa souffrance. Pour toujours. Mais, évidemment, le soleil s'était levé, amenant avec lui une nouvelle journée, et elle avait dû se lever et reprendre la routine. Les actions ordinaires lui semblaient inappropriées au plus haut point, mais elle les exécuta une à une, automatiquement, l'esprit ailleurs.

Les cafés furent prêts avant même le lever de ses tuteurs. Dès que cela fut fait, la fillette prit son verre d'eau habituel, s'assit à table et le sirota en repensant presque malgré elle à Alex, les paroles qu'il lui avait dites, sa douleur lors du dévoilement de celles-ci... Elle ne se rendit compte qu'elle pleurait que lorsque Nicolas l'approcha en lui parlant à voix douce, comme si elle était un animal apeuré. Elle réalisa alors tout à coup de l'état de transe dans lequel elle s'était plongée. Elle se secoua aussitôt, sécha ses larmes et dévisagea son tuteur.

― Ça va? Tu veux en parler?

Les yeux inquiets de son grand-père l'ébranlèrent. Elle était tellement perdue dans son monde qu'elle n'avait rien réalisé de ce qui se passait autour d'elle. Et, visiblement, cela faisait un moment que Nicolas tentait de l'atteindre.

― Heu... oui... non... Je vais bien.

― Tu en es certaine? Vraiment? Tu pleurais et quand j'essayais de te parler, tu ne réagissais pas.

― Je suis juste... j'ai eu une grosse journée hier.

― Tu veux en parler?

Elle secoua la tête de gauche à droite. La douleur était encore trop vive pour qu'elle ait le cran de se replonger dans cet événement.

L'homme soupira devant son refus et accepta son choix à contrecœur avant de se saisir de son café et de s'asseoir à table avec elle, qui avait délaissé son verre depuis plusieurs minutes.

Presque une heure complète ne s'écoula avant que Florence n'arrive chez eux pour leur communiquer les dernières nouvelles, en débarquant comme à son habitude en trombe.

― C'est... tenta-t-elle de débuter.

Mais elle sembla être prise à la gorge par des sanglots, ce qui l'arrêta net dans son élan.

― Je... je croyais que vu qu'il n'y avait pas eu de mort hier, les créatures sataniques avaient abandonné...

Une larme qu'elle tâcha de chasser immédiatement sillonna sa joue alors qu'elle tentait de continuer d'une voix tremblante :

― Mais, non... 

― Qui, cette fois?

Cette question venait de Mireille, toujours vêtue du peignoir qu'elle arborait toute la matinée. Son ton était triste et désolé, bien sûr, mais aussi marqué d'une immense lassitude, comme si elle n'avait jamais douté de la suite des événements. Tout comme sa petite-fille, elle savait qu'ils n'avaient pas laissé tomber. Quelque chose d'extraordinaire était arrivé la nuit dernière et, Dieu seul sait comment, ils avaient tous été épargnés.

Une plainte légère s'échappa de la commissure des lèvres de l'adolescente lorsqu'elle réussit à prononcer le nom de la nouvelle personne à plaindre.

― Louise.

Ce nom ébranla la petite famille, qui, ahurie, fixa sans oser croire les paroles sortant de la bouche de son interlocutrice.

La vieille Louise est morte. Kelly ne pouvait s'empêcher de tourner et retourner cette information dans sa tête. Comment était-ce possible? Elle devait être l'une des personnes les plus entêtée et butée de tout Thiercelieux. Elle avait cédé et s'était laissée dévorer? Elle? Cela semblait si absurde que cette révélation sonnait faux dans son esprit. La vieille Louise était bien une personne apte à être si déterminée à vivre que même la plus virulente des créatures sataniques n'aurait pu l'atteindre. Or, voilà que Florence affirmait le contraire. La vieille Louise était décédée. Devait-elle vraiment croire l'adolescente? Elle n'avait pourtant jamais rapporté de faussetés. Mais, tout de même...?

― Mais Louise ne se serait jamais laissée tuer!

Lorsque Kelly sentit le regard des trois individus posés sur elle, elle comprit qu'elle avait prononcé cette phrase à voix haute. Elle releva des yeux timides vers celle qui semblait s'être acquittée de la tâche de la communication de mauvaises nouvelles à tout Thiercelieux et vit qu'elle lui souriait tristement. 

― Louise est, ou plutôt, était, rectifia-t-elle aussitôt, aussi vulnérable que nous aux attaques des créatures sataniques, Kelly. Ce... elle n'aurait pas pu leur résister.

― Et pourquoi pas? Elle a bien réussi, un jour, à battre Christophe dans un concours de force juste parce qu'elle était trop... fière... pour se laisser battre. Elle ne se serait jamais laissée dévorer, et laisser aux autres voir qu'elle était faible! Jamais!

Cette défense ardente eut au moins le mérite de décrocher un faible éclat de rire à son entourage, ce qui la blessa encore plus. Elle restait convaincue que la vieille Louise ne se serait jamais laissée tuer. Jamais.

― Mais quoi? C'est vrai! Vous avez déjà vu quelqu'un de plus déterminé que la vieille Louise?

― Peu importe, conclut Florence qui reporta son regard sur les adultes et qui semblait de meilleure humeur que lors de son arrivée, le maire propose une rencontre pour choisir... le prochain accusé... dans une heure. Cela vous va?

Le couple confirma et l'adolescente partit continuer sa ronde pour avertir l'entièreté du hameau.

Toute la durée de l'attente avant la rencontre parut une éternité à Kelly. Elle trépignait d'impatience de savoir ce que Solange avait détecté chez Louis. Elle saurait alors enfin avec certitude que ce qu'elle avait vu se révélait juste. Ou pas. Mais cette confirmation ne serait pas de refus. L'incertitude l'avait rongé sans cesse depuis deux jours et l'offre de la sage-femme n'avait pas été de refus. 

Enfin, la fillette se retrouva, flanquée de ses tuteurs, devant la demeure de Louis. Solange n'était pas encore arrivée, mais elle ne tarderait sans doute pas. En attendant, menée par l'excitation, elle regarda autour d'elle dans l'espoir de voir surgir la médecin.

Et, soudain, elle aperçut Alex. Sa vue, et tous les souvenirs les plus douloureux, lui firent si mal qu'elle sentit la gorge se serrer.

De la faute des gens comme ça.

Faible.

Non! Elle ne pouvait pas se laisser aller de la sorte. Et surtout pas maintenant, alors qu'elle était à l'aube de savoir si elle avait visé juste. Elle ne pouvait pas se le permettre. Malgré sa détermination, les paroles blessantes de son ami — s'il l'était toujours — revenaient en boucle la hanter et lui nouaient l'estomac.

La prise de parole du maire, quelques instants plus tard, lui permit de se concentrer sur autre chose et ne fut pas de refus. Toutes les personnes toujours vivantes, incluant Solange, étaient arrivées et s'étaient placées en un cercle presque parfait de manière à pouvoir observer tous les membres composant Thiercelieux. 

Comme à son habitude, le dirigeant du hameau demanda sur qui les doutes qu'avaient les habitants portaient. Solange fut la première à s'avancer, fière et décidée, les épaules carrées, la mine résolue.

― Je sais, commença-t-elle en dévisageant tour à tour chacun de ses confrères, de source sûre ce que j'avance, et bien que ce que je prononcerai pourra vous sembler illogique et foncièrement choquant, je vous demande, à chacun d'entre vous, de me croire. Je n'ai jamais pris la parole ici, car cette perspective me dégoûtait. Mais face à ce qui m'a été dévoilé, je ne pouvais rester coite. Je suis certaine de ce que je vais dire. 

Lorsque son regard insistant croisa celui de sa jeune acolyte, cette dernière comprit, et cela avant même qu'elle ne le déclare formellement.

― Il nous a toujours paru fiable, mais ce n'était visiblement qu'un leurre. Du moins depuis la dernière nouvelle lune. Mais notre maire, je vous le promet, est une créature satanique.


J'espère que cette suite de Nouvelle Lune vous aura plu! Sinon, j'entre tout de suite dans le vif du sujet, j'aurais une question pour vous. J'aimerais savoir si ça vous aiderait que, au début de chaque partie, je mette un bref résumé de la partie que j'ai écrit la semaine précédente. Est-ce que ça vous aiderait à saisir la suite de l'histoire (parce que je sais que c'est long, une semaine... mais pas pour la composition, par exemple!) ? En tout cas je compte sur vous pour me répondre en commentaire, même si vous n'êtes pas habitués d'en mettre! Alors est-ce que ça vous aiderait à saisir la suite de l'histoire, oui ou non? J'attends vos retours! Alors on se redonne rendez-vous la semaine prochaine pour la suite!

Et n'oubliez pas, restez positifs!

Commentaires

  1. Tu m'épates toujours autant Mariane. Ton histoire est vraiment bien ficelée... Pour ce qui est du résumé, moi, j'aimerais bien mais ça te ferait du travail supplémentaire, non ? 🥰

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    1. Ho non pas du tout! Moi ça me prendrait peut-être une petite minute et ça serait tout. Mais merci pour l'information!!!

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  2. Pour moi, le commentaire du début pourrait être une très bonne idée!

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  3. Bonjour Mariane,

    j'aime toujours autant ton histoire :)
    Pour répondre à ta question, le résumé n'est pas nécessaire pour moi.

    Bonne journée, Ginette

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