Nouvelle Lune (partie 16)

 Comme on devait s'y attendre, Mireille et Nicolas étaient revenus bredouilles de leur rencontre avec le maire. Cependant, Kelly commençait à voir la lumière au bout du tunnel depuis son alliance avec Solange, et cela ne l'avait pas découragé. Dès le lendemain matin, elle saurait si elle avait vu juste concernant Louis. Enfin, les suppositions se changeraient en certitudes. Cela n'allait pas être de refus!

La jeune fille brûlait d'envie de partager sa joie avec Alex, le seul susceptible de la comprendre dans son enthousiasme et de partager celui-ci avec elle. Cependant, la crainte de se faire rejeter la figeait sur place. Et s'il ne voulait plus du tout lui parler? Si tel était le cas, elle ne savait pas si elle pourrait reprendre une vie normale sans lui un jour. Il était le seul enfant de son âge, et son meilleur ami. Elle ne pouvait pas imaginer sa vie sans lui. 

Kelly, qui était blottie dans son lit à jouer avec son jeu de ficelles, sursauta en entendant la porte derrière elle s'ouvrir et la voix de sa grand-mère résonner dans l'espace clos.

― Kelly? Je... je me demandais si tu avais faim. J'ai préparé le dîner.

L’intéressée nia de la tête. Elle n'était pas d'humeur à manger, et par le fait même avoir à répondre aux questions de Mireille sur la raison de son isolement. En effet, dès qu'elle avait su que ses tuteurs n'avaient rien pu tirer de Louis, elle était allée se confiner dans sa chambre pour une bonne rencontre avec elle-même. Elle avait besoin de réfléchir à ses froids avec son meilleur ami ainsi qu'à l'alliance qu'elle avait fait avec Solange, qui lui faciliterait tant la vie. Ou du moins elle le souhaitait de tout son cœur.

La femme soupira et, attentive, vint s'asseoir sur le lit à côté de sa pupille pour l'inviter à se confier. Ce qu'elle ne fit pas. 

― Quand vas-tu enfin te décider à me dire ce qui te tracasse? D'habitude, tu... enfin, ça ne te ressemble pas.

Elle n'avait pas envie de lui faire part de son alliance avec la sage-femme. Elle avait envie d'avoir son petit secret. Bien sûr, elle finirait par réaliser ce qu'elle faisait, mais pour le moment, l'envie lui manquait de se confier.

― Tu sais déjà presque tout, et je n'ai pas envie de parler pour l'instant. Mais je vais bien.

Le soupir de la femme fut si bruyant que Kelly regretta presque de ne pas être d'humeur bavarde. Mais elle tint bon.

Mireille resta quelques secondes supplémentaires dans la pièce pour être certaine qu'il n'y avait aucune chance que sa petite-fille ne se confie, puis la quitta.

Heureuse, la fillette put enfin continuer à se plonger dans ses pensées quand, de nouveau, la porte s'ouvrit.

― Tu devrais aller voir Alex, je crois, retenta Mireille. Je sais que tu t'es disputée avec lui, mais je suis certaine que ça te ferait du bien de le voir.

― Je n'ai pas envie.

― Allez, Kelly... Tu n'es pas sortie de la journée. Tu dois voir du monde, surtout qu'il n'y aura pas de rencontre avec le reste du hameau aujourd'hui...

Cette dernière phrase, cette fois, retint toute son attention et elle se retourna d'un coup vers sa tutrice, qu'elle avait négligée tout le long de leur échange, occupée par ses ficelles.

― Quoi?

― Mais oui! Si tu ne t'étais pas enfermée dans ta chambre dès notre arrivée, tu l'aurais su! Louis nous a dit ça, quand nous sommes allés le voir. Comme il n'y a pas eu de mort, il a décidé de faire comme avant, donc oublier le Conseil du hameau pour aujourd'hui, et tous les jours où tout le monde se réveillera en vie. Mais peu importe, ce n'est pas pour ça que je suis revenue te voir, et j'aimerais vraiment que tu ailles faire un tour chez Alex. S'il te plait. 

La femme insista tant que, au bout de plusieurs minutes, Kelly finit par abandonner le combat et accepter à contrecœur. 

― Mais tu es certaine qu'Alex ne m'en voudra pas? Tu me le promets? chercha-t-elle tout de même à valider.

― Il n'a dit ça que sur un coup de tête, et il était trop fier pour revenir vers toi lorsqu'il s'en est rendu compte. Je suis sûre qu'il s'ennuie de toi autant que toi de lui, confirma-t-elle en hochant la tête.

Rassurée, la jeune fille laissa son visage se fendre d'un sourire timide et heureux.

― Alors si c'est comme ça, je vais aller le voir. Mais j'espère que tu as dit la vérité, par contre!

― Sur ce point, tu peux me faire confiance, confirma-t-elle avec un sourire dans sa voix.

Sa pupille lui sourit et, soudain excitée de revoir son meilleur ami, elle se leva d'un bond, laissa choir ses cordes sur son matelas et courut jusqu'à l'entrée pour enfiler ses chaussures. Elle n'eut que le temps de saluer à la va-vite les adultes que, déjà, elle se retrouvait à l'extérieur sur le chemin vers la maison d'Alex. Enivrée par la promesse de Mireille, tout doute effacé, elle fonça au pas de course jusqu'à la demeure où elle avait passé tant de temps depuis le début de son enfance.

Elle se retrouva enfin devant la résidence qu'elle cherchait.

Et les doutes la paralysèrent.

Tant de souvenirs lui revenaient, avec, encore et encore, celui, tranchant, de son ami qui lui crachait au visage son manque de compréhension, qu'elle sentit les larmes lui monter aux yeux. La promesse de sa tutrice ne valait plus rien. Ce n'était plus qu'elle, Alex, et les souvenirs qu'ils partageaient. 

Tu ne comprends vraiment pas...

Il y a des personnes qui sont coupables, Kelly!

On ne vit pas dans un monde de licornes, reviens sur Terre, enfin!

Les larmes lui montèrent aux yeux. L'écho des paroles démenées d'Alex lui revenaient, encore et encore, en une boucle infinie, jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus. Elle tourna les talons en laissant couler ses larmes alors qu'enfin, les souvenirs se taisaient.

― Kelly?

Cynthia.

― Kelly!

Elle n'avait pas envie de se retourner. Pas envie d'affronter le regard de Cynthia qui lisait en elle comme dans un livre ouvert. Pas envie de revoir Alex.

Cette dernière affirmation lui fit l'effet d'un claque. Elle n'avait pas envie de revoir Alex... Mais non! Non! Elle le voulait, elle le désirait de tout son cœur! Alex, son meilleur ami. 

Ses larmes redoublèrent. Elle se détestait d'avoir pu songer à une chose si affreuse. 

Non, elle avait envie de revoir Alex. De tout son cœur. Elle le voulait. Elle le voulait...

Alors qu'elle s'arrêtait net dans sa course et pivotait pour faire face à la mère de son ami, elle se répéta cette phrase comme un mantra, comme une manière de chasser tout doute de son égoïsme. Elle voulait revoir Alex. C'était tout ce qui comptait. Elle était venue pour le revoir.

― Ho, Kelly! Ça faisait si longtemps que je ne t'avais pas vu, je commençais à me faire du souci. J'avais peur que... qu'il te soit arrivé quelque chose. Tout va bien? Ho mais, enfin, ma belle, tu pleures?

La fillette sécha rapidement ses larmes du revers de sa main. Elle voulait revoir Alex. La chaleureuse Cynthia était revenue, et cela la rassura. Le contraste avec la dernière fois qu'elle l'avait vue, ivre et dépourvue de toute joie de vivre, était énorme. Elle voulait revoir Alex.

― Je... je vais bien. Je venais juste voir Alex.

― Mais...? l'encouragea-t-elle en arquant un sourcil.

Évidemment. Il était clair que, après l'avoir vu figer devant leur demeure puis s'enfuir en larmes, elle savait qu'elle couvait quelque chose.

― Je... je m'ennuyais de lui.

Au vu du visage de la femme, il était clair que ce n'était pas la réponse qu'elle escomptait, mais elle n'insista pas plus.

― Alors entre, il est dans la maison.

La pupille de Nicolas franchit les quelques mètres qui la séparaient du domicile de son interlocutrice à pas hésitants, encouragée par cette dernière. Elle franchit finalement le seuil du logis et monta lentement jusqu'à l'étage, d'où elle percevait des sons.

Alex était dans sa chambre, à jouer avec le petit moulin qu'elle lui avait prêté, quelques jours auparavant, et qu'elle avait complètement oublié. Son moulin, que Nicolas lui avait fabriqué. 

Dès que son ami l'aperçut, son visage se décomposa. Il ne s'attendait visiblement pas à ce que les pas qu'il avait perçus lui appartiennent. De la surprise, ses émotions passèrent à la colère.

― Vas-t-en.

Trois mots qui lui firent l'effet d'une claque. Ses pensées positives fondirent comme autant de grains de sel dans de l'eau. 

Des pas résonnèrent dans l'escalier, signe que la maîtresse de la maison approchait.

― Qu'est-ce que c'est que ça, Alex? Kelly vient pour te voir et toi, comment réagis-tu? Excuses-toi tout de suite!

― Non, décréta-t-il d'un ton buté.

― Pardon?

― C'est à cause de gens comme elle que papa est mort. Des gens qui ne veulent pas faire mourir des coupables parce qu'ils sont trop faibles.

Kelly n'entendit pas le reste de sa phrase. Faible. Un rideau de larmes brouilla sa vue. Alex ne voulait pas lui pardonner. Faible. Il la tenait toujours en rancœur. Faible. Un gouffre s'était tracé entre eux. Ils n'allaient pas se réconcilier. Ne pouvaient pas.

Faible.

Elle partit en courant. L'air était étouffant, comme chargé de reproches. Son amitié avec Alex était terminée pour toujours. Il ne lui pardonnerait pas.

― Kelly!

Elle ignora cet appel. Elle était si déchirée de l'intérieur que les larmes qui s'accumulaient sous ses paupières ne coulaient même pas.

C'est fini.

J'aime vraiment écrire Nouvelle Lune. C'est clair. Il y a tant d'émotions à faire transparaître! Je ne suis pas vraiment habituée de transmettre autant de tristesse dans mes écrits, c'est donc un bon exercice pour moi. Même si c'est bien ironique, vous transmettre une histoire triste et écrire à la fin "Et n'oubliez pas, restez positifs!"... Mais bon, Nouvelle Lune n'est pas près de devenir une histoire joyeuse. Et mon mot de fin non plus. Mais bon, ça va servir de petite dose pour remonter le moral après une lecture triste. Ma promesse d'une fin heureuse. Ou pas! Alors moi je vais vous dire à la semaine prochaine et oui, même si ça ne fite pas, surtout pas après cette partie, vous dire aussi...

Et n'oubliez pas, restez positifs!