Nouvelle Lune (partie 15)

Le soleil venait à peine de commencer à éclairer Thiercelieux que déjà, Kelly remettait tout en question. 

Il n'y avait pas eu de mort.

Donc, techniquement, pas de sang. Plus de créatures sataniques. Or, il était impossible qu'ils aient réussi à, déjà, avoir éliminé toutes celles-ci. Mais s'il n'y avait pas eu de mort, comment pourrait-elle expliquer ce qu'il advenait de sa révélation nocturne? Et si, finalement, Louis n'était pas une créature satanique? Mais alors, d'où viendrait ce sang maculant ses vêtements? Ce n'était pas comme s'il était boucher! Ce sang n'avait aucune raison de se situer sur ses vêtements. La seule option était qu'il était une créature satanique... et pile au moment où elle avait cette certitude, il n'y avait pas de mort. Juste pour venir la démentir. Mais alors... et s'il n'était réellement pas une créature satanique?

Le jugement et le sens de la déduction de la fillette étaient mis à dure épreuve. Comment pouvait-il n'y avoir aucun mort? C'était pratiquement impossible! Il devait y avoir une erreur. Le corps devait être caché, dans un endroit peut-être plus reculé, pour que personne ne l'ait trouvé. Car sinon, cela voudrait dire que les créatures sataniques avaient abandonné. Ce qui était tout aussi impossible.

― Mais Florence, c'est impossible!

La jeune femme la regarda avec des yeux empreints d'incompréhension. Le fait était qu'aussi, elle considérait ce qui aurait dû être une bonne nouvelle comme une mauvaise. Pas étonnant, alors, que Florence ne comprenne pas son raisonnement. Elle-même n'était pas certaine d'y saisir quelque chose. Devait-elle se réjouir ou, au contraire, plaindre la perte de sa preuve? Tout ceci était encore si flou dans sa tête...

― Pourquoi dis-tu ça, Kelly?

La jeune fille se renfrogna. La porteuse, en temps normal, de mauvaises nouvelles, ne connaissait rien de sa théorie et elle ne tenait vraiment pas à lui en faire part pour l'instant.

― Non, pour rien...

Heureusement, Nicolas et Mireille semblaient avoir compris l'état d'esprit de leur petite-fille et ne divulguèrent pas sa découverte — qui n'avait plus rien de certain, pour le moment, qui plus est. 

― Sais-tu s'il va y avoir une réunion, alors? s'enquit la femme à la place. Vu qu'il n'y a pas de mort...

Florence secoua avec un air malheureux la tête.

― Non, je ne peux pas te répondre pour l'instant. Il faudrait discuter de ça avec le maire, pour voir ce qu'il en pense.

Entendre Florence remettre à un tel point sa confiance entre les mains de Louis lui donna un haut-le-cœur. 

Si elle savait...  

Pour sa part, même si sa preuve n'était plus vraiment valable, elle n'était pas près de redonner sa confiance à leur dirigeant. Et elle remettrait le jugement de celui-ci en question deux fois plutôt qu'une avant de décider de lui faire confiance. Il ne restait plus qu'à retrouver une preuve de sa culpabilité pour réellement le faire incriminer. Et alors, il ne pourrait pas plaider son innocence. Contrairement à maintenant, où la preuve de son crime — s'il avait bien été commis — avait été effacée, d'une façon inconnue. 

Plus elle y pensait, plus Kelly était convaincue que Louis était une créature satanique. Rien ne pouvait expliquer le sang sur ses vêtements. Absolument rien. C'était forcément lui... il ne restait plus qu'à le prouver. 

― Oui, j'imagine...

L'air songeur de son grand-père fit comprendre à la fillette qu'il avait pris au sérieux ses doutes, ce qui lui fit chaud au cœur. Et que, malgré l'absence de mort, tout comme elle, il considérait le maire comme un suspect plus que probable. 

― Bon, alors, quoi qu'il en soit, je vais prévenir les autres de la bonne nouvelle, fit Florence avec un petit rire nerveux.

Elle les trouvait étranges. Son visage disait tout. Mais, en même temps, elle n'était pas au courant de la découverte de l'enfant. 

La jeune femme quitta la demeure avec un sourire qui sonnait faux dessiné sur son visage. Elle était soulagée de partir, malgré tout ce qu'elle aurait pu riposter, ce dont on ne pouvait pas lui en vouloir. Elle ne savait pas...

Le trio se retourna naturellement vers la table où ils pourraient discuter posément de la situation. Kelly mourait d'envie de se précipiter chez Alex pour lui faire part de ses soupçons. Mais la rejetterait-il? Et s'il ne voulait pas lui parler? Il était décidément mieux d'arriver chez lui avec des preuves concrètes que seulement avec des soupçons. Elle allait devoir attendre de repérer une créature satanique avant de reparler à son ami. Et également s'assurer que Nicolas ne la change pas de chambre.

Une fois les trois membres de leur famille en rond autour du meuble, les deux filles assises et l'homme debout, les mains sur le dossier de sa chaise, ce dernier annonça :

― Je vais aller parler au maire, question de mettre toute cette histoire au clair. Tout ceci ne peut plus durer.

― Parce que tu crois vraiment que tu vas arriver, lui demander s'il est une créature satanique et qu'il va te répondre "Oh, mais bien sûr, allons en discuter autour d'une tasse de thé!"?

Le pessimisme de sa grand-mère fit descendre en flèche l'humeur de Kelly. Bien sûr que Louis n'allait pas réagir de la sorte. Entrer en possession d'une information d'une telle envergure ne se faisait pas sans travail et surtout, sans difficultés. Malgré tout, elle se rendit compte que, inconsciemment, elle avait souhaité que la tâche soit plus simple.

― Ce n'est pas ce que je dis, rétorqua Nicolas. Je veux essayer de lui soutirer des informations. Ça pourrait toujours nous être utile, et peut-être même faire sortir au grand jour des preuves qui nous auraient échappées jusqu'à maintenant.

― Alors, je viens avec toi.

― Non!

La vitesse avec laquelle s’enchaînèrent ces deux phrases déconcerta la petite-fille des interlocuteurs qui se tenait, muette, à écouter comme une spectatrice.

Le mari de Mireille s'expliqua :

― Si Louis est bel et bien une créature satanique et qu'il réalise qu'il a divulgué une information qui devait rester secrète, il cherchera à effacer les preuves. Il s'en prendra donc à moi, et à toit aussi, si tu viens.

― Et qu'est-ce qui te fait dire qu'il ne s'attaquera pas à moi de toute manière? Et à Kelly? Il va bien arriver à la conclusion que tu nous en a parlé et que nous sommes tout aussi aptes à lui causer du trouble que toi! Et tu n'y penses pas, aller là-bas seul! Et s'il s'en prenait à toi? Non, je persiste à croire qu'il est beaucoup plus sage que je t'accompagne.

― Mais tu ne comprends pas!

Dès qu'il eut prononcé ces phrases, Nicolas sembla les regretter.

― Ah oui? Eh bien aurais-tu l'amabilité de me faire part de ce qui m'échappe?

L’intéressé se passa un main dans les cheveux, signe irréfutable qu'il était nerveux.

― Je... je ne sais pas comment te l'expliquer, Mireille! Mais s'il te plait, tu dois me faire confiance!

Son épouse nia fermement cela. 

― Si tu vas rencontrer le maire, je viens avec toi, trancha-t-elle d'un ton sans équivoque.

L'homme serra les dents, prit une grande inspiration puis dit d'une voix pincée :

― Bien.

― Alors, n'attendons plus! Je suis certaine que Louis est levé, le soleil l'est depuis presque une heure. Je vais me changer et nous partons à sa rencontre.

Le café de la femme, toujours en attente sur la table, semblait bon à être à jeter pour ce jour. La détermination de sa propriétaire semblait lui avoir fourni toute l'énergie dont elle avait besoin pour la journée.

Une fois le couple sur le point de partir, Mireille s'approcha de sa pupille et s'accroupit près d'elle.

― Reste ici, tu veux bien? Nous serons de retour bientôt.

Elle déposa un léger baiser sur son front, l'enlaça, puis revint aux côtés de son époux afin de lui donner l'ordre muet de départ. La fillette se retrouva donc seule chez elle. Qu'allait-elle pouvoir faire pour s'occuper alors qu'elle savait que ses tuteurs allaient possiblement revenir avec une preuve de ce qu'elle avait vu? Allait-elle vraiment résister à l'attente? Ils étaient presque sur le point de démasquer une créature satanique, elle le sentait. Et après, selon la prophétie dont leur avait fait part Madeleine, il ne resterait plus que deux envoyés des démons à identifier. Rien qu'à cette pensée, un mélange d'adrénaline et d'impatience enfla en elle. Ils progressaient.

Kelly commença à se diriger vers sa chambre lorsque quelqu'un cogna à la porte. Curieuse et légèrement inquiète, elle s'en approcha pour tenter de voir qui était-ce. Ces temps-ci, mieux valait rester prudent. Comme ses tuteurs lui avaient montré, elle plaça la chaînette de sécurité de manière à pouvoir entrouvrir la porte tout au plus pour pouvoir la refermer rapidement si l'individu lui voulait du mal. 

Décidément, toute cette histoire commençait à peser sur la confiance qu'elle accordait et elle devenait réellement paranoïaque.

De l'autre côté de la porte entrouverte, la jeune fille découvrit Solange, une femme entre deux âges qui avait toujours témoigné beaucoup de bonté envers ses compères. Elle exécutait le rôle de sage-femme de Thiercelieux ainsi que celui de médecin. Tout le monde de Thiercelieux qui s'était déjà blessé ou eu un enfant lui devait beaucoup. Elle était quelqu'un de confiance.

― Ho! Kelly! J'espérais justement te voir. Es-tu seule?

Cette entrée en la matière pour le moins étrange, mais parfaitement sincère, sema un mélange étrange d'émotions chez l'intéressée. 

― Oui... je suis seule.

― Ho, parfait! Il me semblait bien avoir vu tes grands-parents partir. Puis-je entrer? J'ai quelque chose d'important à discuter avec toi.

Sa curiosité l'emportant sur sa méfiance, Kelly retira la chaînette pour ouvrir la porte toute grande.

― Qu'est-ce qui se passe? s'empressa-t-elle de demander aussitôt qu'elle eut conduit son hôte à la table.

― D'abord, je veux que tu saches que tu peux me faire confiance. Je sais que ce n'est pas facile, par les temps qui courent...

Son regard se perdit un bref moment dans le vide.

― ... mais peu importe, compléta Solange en reportant ses yeux sur la fillette attentive. Si je suis ici, c'est parce que je sais que nous ferions une équipe de l'enfer. Depuis la dernière nouvelle lune, Kelly, j'arrive à savoir si une personne nourrit des intentions bénéfiques ou mauvaises. Cependant, je n'ai accès à ce don extraordinaire que la nuit, et il me faut l'entièreté de celle-ci pour réussir à définir avec certitude si une personne est bonne ou mauvaise. La nuit dernière, c'est toi que j'ai sondé. Et j'ai découvert une telle force positive chez toi que je me suis dit que tu devais avoir un... pouvoir, un peu comme moi, qui allait pouvoir aider Thiercelieux à revenir dans une ère positive. Je ne sais pas quel est ce pouvoir, et si toi-même tu en as conscience. Mais je voudrais te proposer un travail d'équipe, que nous deux travaillons main dans la main pour le bien de notre hameau. Je te ferais part de mes soupçons et toi, des tiens. Nous pourrions alors approfondir nos théories pour en faire des certitudes. Qu'en penses-tu?

Du moment que Solange avait parlé d'un pouvoir, les pensées de la jeune fille avaient dérivées vers son insomnie, qui lui avait permis de voir Louis passer. Cela n'avait débuté que lors de la dernière nouvelle lune. Tout comme la femme. Elles étaient un peu pareilles, d'un certain sens.

― Je trouve que c'est une très bonne idée, annonça-t-elle sans rien remettre de ce que Solange avait dit en question, puisqu'elle était une personne dont chaque émotion transparaissait clairement dans son visage et que rien de ce qu'elle avait dit ne pouvait couvrir un mensonge.

― À la bonheur! Que dirais-tu qu'on se retrouve chaque jour, après le Conseil du hameau?

Kelly acquiesça allègrement. Enfin, les choses allaient pouvoir avancer.

― Ho! Et, s'enquit-elle alors que la sage-femme se levait de sa chaise pour partir, pourriez-vous sonder monsieur de maire?

Presque le double de mots que d'habitude... Tout de même! Alors même qu'au début, je n'avais pas vraiment de but à cette partie de l'histoire, je cherchais quoi écrire, et je me disais qu'elle allait être une des parties les plus courtes de mon blog... C'est devenu tout le contraire! Dès que j'ai eu l'idée de faire intervenir Solange, tout est parti tout seul! Alors si vous écrivez des histoires vous aussi et que vous manquez d'inspiration, définissez le but de votre histoire! À partir de là, tout va tout seul! Parce que presque la totalité de cette partie a été écrite ce soir, en une heure et dix! Tout ça parce que j'avais trouvé le but de cette suite avant de continuer d'écrire sans but. J'espère donc que vous avez aimé cette longue suite de Nouvelle Lune et qu'elle vous aura diverti autant ou plus que les précédentes. Pour ma part, surtout la fin, ça a été très agréable de l'écrire!

Et n'oubliez pas, restez positifs!